27-10-2020 · Interview

Hydrogène vert : pour un avenir décarboné

Entretien avec Thiemo Lang, gérant de portefeuille senior, stratégies RobecoSAM Smart Energy et Smart Mobility.

    Auteurs

  • Roman Boner CFA - Senior Portfolio Manager

    Roman Boner CFA

    Senior Portfolio Manager

On entend beaucoup parler d’« économie bas carbone » et de « transition énergétique ». L’hydrogène nous y mènera-t-il ? S’agit-il de la technologie disruptive que nous attendions ?

Aujourd’hui, l’hydrogène ne représente qu’une part infime du mix énergétique mondial. Il est presque exclusivement produit à partir de combustibles fossiles, ce qui entraîne le rejet de 70 à 100 millions de tonnes de CO2 par an, rien que dans l’Union européenne1.

Si l’hydrogène doit contribuer de manière significative à la neutralité climatique, sa production doit devenir complètement décarbonée. À l’heure actuelle, il est essentiellement produit par reformage du méthane, ce qui émet du CO2. C’est que l’on appelle l’« hydrogène gris ».

Cependant, l’avènement de l’« hydrogène vert », produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable, promet de rendre la production complètement neutre en CO2. Cet hydrogène propre offre une solution pour décarboner les secteurs économiques énergivores dans lesquels la réduction des émissions de carbone est difficile à réaliser. Par exemple, dans la fabrication des systèmes de chauffage, les processus industriels ou le transport lourd (camions, bus, trains, etc.), la forte densité de l’hydrogène vert peut servir à stocker de grandes quantités d’énergie propre, de manière similaire à une batterie de véhicule électrique léger. À l’heure actuelle, les coûts de production de l’hydrogène renouvelable restent supérieurs à ceux de l’hydrogène d’origine fossile, mais nous pensons qu’ils baisseront de manière significative dans les années à venir.

Qu’en est-il du soutien réglementaire et industriel ?

Alors que la pression citoyenne augmente en faveur de la limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius, les gouvernements du monde entier reconnaissent que l’hydrogène vert peut décarboner les secteurs énergivores, et cherchent à en accélérer le rythme de développement.

En Asie, des pays comme le Japon, la Corée du Sud et la Chine ont mis en place des plans hydrogène qui fixent des objectifs de production de véhicules électriques à hydrogène et prévoient des stations de recharge et des importations d’hydrogène.

En Europe, l’Allemagne, la France, l’Espagne et les Pays-Bas ont chacun formulé d’ambitieux objectifs de production d’hydrogène vert. Par ailleurs, la Commission européenne considère l’hydrogène comme un élément essentiel du pacte vert pour l’Europe et de la transition énergétique, et à court terme, il devrait compléter les énergies renouvelables en matière de décarbonation. Dans le même temps, à mesure que l’hydrogène vert gagnera du terrain, sa part dans la consommation énergétique de l’Europe devrait passer de moins de 2 % actuellement à un niveau situé quelque part entre 8 % dans un scénario de référence et 24 % dans un scénario ambitieux d’ici 20502.

Les leaders des secteurs du transport, des produits chimiques, du pétrole et du gaz, et du chauffage finissent par se rendre compte que l’hydrogène renouvelable leur offre une occasion inédite d’étendre leurs marchés potentiels tout en devenant plus verts.

D’ici 2050, l’hydrogène pourrait fournir jusqu’à 24 % de la demande énergétique totale de l’UE (soit près de 2 250 twh d’énergie)

D’ici 2050, l’hydrogène pourrait fournir jusqu’à 24 % de la demande énergétique totale de l’UE (soit près de 2 250 twh d’énergie)

Source: Hydrogen Roadmap Europe

Vous l’avez mentionné, il semble que les coûts soient l’un des principaux freins à la généralisation de l’hydrogène vert. Comment le rendre plus compétitif

La réduction des coûts sera essentiellement permise par l’augmentation de la taille de la chaîne de valeur de l’hydrogène, par des électrolyseurs plus efficients et par une électricité renouvelable bon marché. Mais il est nécessaire pour cela d’investir, d’harmoniser les politiques et d’être créatifs . Les coûts des électrolyseurs ont été diminués de 60 % au cours des dix dernières années, et une nouvelle réduction par deux d’ici 2030 semble réaliste.

D’après les estimations, le coût de l’hydrogène d’origine fossile est actuellement de 1,50 €/kg environ dans l’UE (hors coût du CO2)4, contre une estimation comprise entre 3 et 5 €/kg pour l’hydrogène vert. On estime que l’hydrogène renouvelable sera compétitif d’ici 2030 (date à laquelle il aura atteint 1,50 €/kg) dans les régions où l’électricité renouvelable est bon marché, sans même assumer de taxes carbone sur l’hydrogène gris.

Quels secteurs bénéficieront le plus des coûts plus compétitifs de l’hydrogène vert ? Y aura-t-il des perdants ?

À mesure que la production et la distribution d’hydrogène, et la fabrication des composants du système passeront à une échelle supérieure, de nombreuses applications favoriseront la compétitivité de l’hydrogène vert.

En matière de production, la montée en puissance de l’hydrogène vert aura naturellement des répercussions positives pour les fabricants d’électrolyseurs et de piles à combustible. Étant donné l’origine renouvelable de l’hydrogène vert, nous pensons que les producteurs d’énergies propres seront également favorisés, probablement dans le solaire, l’éolien onshore/offshore et l’hydroélectricité. Nous aurons en effet besoin d’un mix composé de différentes sources pour maximiser le nombre d’heures de fonctionnement des électrolyseurs qui sera nécessaire pour amortir le coût de production de l’hydrogène.

Concernant les applications, nous pensons que l’hydrogène vert trouvera le plus de débouchés dans le secteur des transports, en particulier les poids lourds, les bus longue distance, les bateaux et les avions, sans toutefois exclure les voitures particulières. En effet, le fabricant de voitures sud-coréen Hyundai5 affirme qu’il a déjà réduit de 50 % les coûts par véhicule entre 2013 et 2019, et qu’ils devraient encore diminuer de 50 % d’ici 2025. L’objectif étant que ses véhicules électriques et à combustion soient devenus compétitifs d’ici là6.

Des progrès sont également réalisés dans le transport ferroviaire puisqu’un fabricant européen de matériel roulant exploite d’ores et déjà un train à hydrogène. En outre, selon un rapport de Commission européenne, environ 46 % du réseau principal est encore exploité avec des trains diesel, ce qui laisse présager une forte augmentation de la demande d’hydrogène7.

Outre le secteur des transports, celui du chauffage sera également très concerné par la généralisation de l’hydrogène vert. Nous avons d’ores et déjà la possibilité d’inclure jusqu’à 20 % d’hydrogène renouvelable dans les réseaux de gaz naturels (du moins pendant une période de transition), ce qui permettrait de réduire les émissions de CO2 des dispositifs de chauffage existants. De plus, les chaudières à hydrogène offriront une solution compétitive et peu émettrice, en particulier dans les bâtiments existants actuellement alimentés au gaz naturel.

Mais tous les secteurs ne pourront tirer parti de la pénétration accrue de l’hydrogène vert sur le marché : ceux qui dépendent traditionnellement du pétrole et, dans une moindre mesure, du gaz naturel, seront lésés. Néanmoins, compte tenu de notre objectif sociétal de réduire les émissions de CO2, cette évolution est la bienvenue.

Pour nous, l’hydrogène vert est le dernier chaînon qui manquait pour bâtir un avenir énergétique vraiment propre

En tant que gérant de portefeuille des stratégies RobecoSAM Smart Energy et Smart Mobility, croyez-vous dans l’essor de l’hydrogène ?

Nous assistons actuellement à la naissance d’une nouvelle industrie où différents acteurs essaient de trouver leur place dans la chaîne de valeur. Alors que l’hydrogène vert commence à jouer un rôle de plus en plus important dans notre futur mix énergétique, et que le marché s’élargit suite à de récentes introductions en Bourse, nous décelons de plus en plus de bonnes opportunités d’investissement dans les entreprises qui produisent, transportent et utilisent l’hydrogène vert.

C’est la raison pour laquelle nous détenons en portefeuille quelques valeurs que nous considérons comme des leaders technologiques qui tireront parti du développement de l’hydrogène. Nous sommes particulièrement intéressés par les entreprises qui fabriquent des électrolyseurs et des piles à combustible, et celles qui travaillent au développement de l’infrastructure nécessaire pour soutenir l’essor de l’hydrogène.

À l’heure actuelle, ces valeurs représentent environ 5 % de nos portefeuilles RobecoSAM Smart Energy et Smart Mobility, un niveau que nous jugeons approprié. Nous avons conscience que ces entreprises sont assez volatiles compte tenu de la jeunesse du secteur, car le marché continue de s’adapter et intègre actuellement leurs prometteuses perspectives de croissance. Par la suite, de nouveaux partenariats et alliances stratégiques devraient être annoncés en nombre, ce qui devrait particulièrement soutenir ces titres.

Pour nous, l’hydrogène vert est le dernier chaînon qui manquait pour bâtir un avenir énergétique vraiment propre. Il s’agit d’une source d’énergie à forte densité qui permet de décarboner les secteurs énergivores qui auraient autrement du mal à « verdir ». L’hydrogène bas carbone devrait donc gagner de plus en plus de terrain dans les dix prochaines années et au-delà. En tant qu’investisseurs, nous nous réjouissons d’y contribuer, car cela s’inscrit parfaitement dans nos stratégies Smart Energy et Smart Mobility.

Découvrez les dernières infos sur la durabilité

Recevez notre newsletter Robeco et soyez le premier à lire les dernières informations ou créez le portefeuille le plus écologique.

Restez connectés