28-09-2022 · Perspectives trimestrielles

Perspectives Crédit : relations commerciales et confiance

Les valorisations ont baissé mais le phénomène n’est pas encore suffisamment généralisé. La prise en compte d’une récession totale par les marchés reste encore à démontrer.

    Auteurs

  • Jamie Stuttard - Head of Global Macro team and Portfolio Manager

    Jamie Stuttard

    Head of Global Macro team and Portfolio Manager

  • Sander Bus - CIO High Yield

    Sander Bus

    CIO High Yield

Perspectives Crédit : relations commerciales et confiance

Nous sommes arrivés à un point d’inflexion

L’équipe multi-actifs de Robeco vient juste de publier ses dernières perspectives à cinq ans (Expected Returns), intitulées « L’âge de la confusion ». Ce rapport évoque les nombreux points d’inflexion cycliques, durables et géopolitiques avec lesquels nous devons jongler en tant qu’acteurs du marché. Ce que confirme notre équipe Crédit.

Un exemple est le fait que les chaînes d’approvisionnement mondiales ne fonctionnent qu’en temps de paix. Les relations UE-Russie sont bloquées, tandis que la « Chinamérique », première coopération bilatérale au monde, doit être surveillée de près. La théorie des relations commerciales nous dit que les échanges marchands reposent sur la confiance. Nous entrons actuellement dans une phase de démondialisation ou – comme préfère le nommer l’équipe Global Macro – de remondialisation, compte tenu des nouvelles alliances militaires qui se forment.

Ces tendances de fond se superposent aux tendances cycliques actuelles, à savoir des banques centrales qui poursuivent leur propre guerre : une guerre contre l’inflation. « Pour le moment, nous prenons ces tendances au sérieux et ne tenons pas compte du double mandat que pourraient avoir les banques centrales, à savoir qu'il est nécessaire d’infliger des souffrances à l’économie pour ramener l’inflation à son niveau normal » explique Victor Verberk, co-responsable de l’équipe Crédit de Robeco.

« Cela signifie que la récession devrait s’aggraver en matière de revenus, d’investissements, de défauts des prêts à effet de levier et de volatilité des marchés en général. Les valorisations ont baissé mais le phénomène n’est pas encore suffisamment généralisé. »

Nous avons besoin d’autres preuves indiquant qu’une récession totale est prise en compte. D’un point de vue technique, les central banks procéderont à d’autres relèvements de taux et, dans de nombreux cas, le resserrement quantitatif (QT) n’a pas encore démarré. C’est pourquoi nous modifions légèrement notre prévision de bas de cycle, qui devrait se produire plus tard dans l’année.

Jusqu’où iront les banques centrales ?

Ces dix dernières années, les décideurs politiques se sont complètement trompés dans leurs prévisions de croissance et d'inflation. Nous avons connu une décennie d’assouplissement quantitatif (QE) et d’inflation quasi nulle ayant entraîné une augmentation des prix des actifs. On nous a ensuite dit que l’inflation serait transitoire.

Nous sommes à présent entrés dans une phase où les banques centrales craignent que l’inflation ne s’enracine dans l’économie via les salaires et le pouvoir de fixation des prix des entreprises. Il est par conséquent intrinsèquement difficile de prédire l’inflation, tout comme il est difficile de la gérer. Cela signifie que des erreurs de politique sont à prévoir.

Pour faire baisser les anticipations d’inflation, les banques centrales pensent qu’elles doivent infliger des souffrances à l’économie, du côté de la demande. Nous avons réalisé des analyses historiques pour obtenir des informations sur la forme que pourraient prendre ces mesures douloureuses ainsi que sur le timing, et potentiellement l’ampleur, de la récession à venir. Voici quelques éléments que nous avons examinés, parmi de nombreux autres.

Recherches de signaux indiquant où nous sommes toujours dans le cycle

  • Premièrement, l’histoire nous montre que lorsque l’indice ISM passe de 60 à 50, les spreads ont tendance à s’élargir. Ce n’est que lorsque la récession est avérée, en général lorsque les indices ISM et PMI tombent sous la barre des 47-48 points, que le ralentissement est généralement pris en compte. Si nous considérons que ces indicateurs sont fiables, alors leur niveau actuel ne correspond pas à une récession.

  • Deuxièmement, les créations d’emplois aux États-Unis ralentissent pour passer en dessous des 200 000 à la fin du cycle de resserrement. Or, l’économie américaine est loin d’avoir atteint ce chiffre.

  • Troisièmement, les conditions financières moyennes en période de récession ont toujours été plus strictes qu’aujourd’hui. Cela signifie que les conséquences sur les taux, le pétrole et les actions n’ont pas encore pris fin.

  • Quatrièmement, l’inflation persistante (loyers, par exemple) continue d’augmenter, tandis que le baromètre des salaires élaboré par la Fed d’Atlanta ne montre pour le moment aucun ralentissement notable.


Nous en concluons que du point de vue du cycle économique, la plupart des indicateurs montrent que nous ne sommes pas encore en récession.

Vient ensuite le cycle du marché. Historiquement, les baisses des marchés associées à la récession durent au moins un an et demi. Nous en sommes aujourd’hui à neuf mois. En outre, l’augmentation des spreads est d’au moins 150 pb en général, alors qu’elle n’a pas encore atteint la moitié de ce niveau pour le moment.

Il est impossible de savoir précisément quand nous atteindrons le cycle de resserrement.

« Mais historiquement, nous savons que les taux d’intérêt atteignent un pic avant les spreads de crédit. Nous savons aussi que cela se produit, en moyenne, autour de l’avant-dernier relèvement des taux, souligne Jamie Stuttard, stratégiste crédit chez Robeco. Sur cette base, nous en concluons que nous pourrions parvenir au pic quelque part en novembre ou en décembre de cette année. »

Nous avons consacré peu de temps à la Chine au cours de ce trimestre. Il est évident que nous ne pouvons pas nous attendre que cette ancienne locomotive de l’économie mondiale tire à nouveau la croissance cette fois. Dans ce pays, les prévisions de croissance, les niveaux d’endettement et chômage très élevé des jeunes nous préoccupent sérieusement. es politiques liées au Covid pèsent sur l’économie et n’aident pas non plus.

Nous ne voulons pas paraître trop pessimistes, et en même temps nous devons encore faire preuve de patience avant d’entrer dans la dernière phase du cycle de crédit.

« Quelques risques extrêmes positifs pourraient modifier ce scénario de base, tempère Victor Verberk. Premièrement, une fin inattendue de la guerre en Ukraine ou la récession elle-même pourraient provoquer une chute encore plus importante des prix du pétrole. Cela aurait peu d’effet sur l’inflation et la croissance, et pourrait donner à la Fed une raison de marquer une pause. Deuxièmement, le pouvoir de fixation des prix des entreprises sera peut-être meilleur que prévu, ce qui est une bonne chose pour la santé des entreprises. Tout bien considéré, nous pensons que nous n’avons pas encore vu toutes les phases du marché baissier mais que nous nous en approchons lentement. »

Les valorisations deviennent plus attractives

Sur une note plus optimiste, la corrélation positive entre le crédit, les obligations d’État et les actions depuis le début de l’année 2022 se traduit par de bien meilleures valorisations. Un fonds standard 60/40 a perdu 18 % et les marchés obligataires ont connu la pire correction depuis des années en termes de performance totale. La bonne nouvelle est que les prix ont commencé à évoluer vers des niveaux plus intéressants.

Nous sommes très optimistes à l’égard des swap spreads européens. L’examen transversal des valorisations relatives montre qu’il s’agit de la partie la moins chère du marché sur une base corrigée du risque par rapport à son propre historique. Cela s’explique par la pénurie de Bunds et par des marchés repo très serrés, qui sont aussi un des nombreux effets secondaires du QE.

Cela signifie que si l’on prend les obligations d’État comme référence, les spreads de crédit européens sont devenus meilleur marché que les spreads de crédit américain. Cela a rendu le crédit investment grade de qualité (obligations couvertes ou crédits émis par des agences) très bon marché. Si l’on se base sur le spread ASW (asset-swap-spread) ou le spread-over-swap, les spreads de crédit ne sont pas encore bon marché. La pénurie de Bunds pourrait prendre fin si la BCE met en place certaines mesures de QT dans les mois à venir.

Dans le high yield américain, le spread OAS (option-adjusted spread) moyen a toujours été de 540 pb. Nous sommes actuellement proches de ce niveau, mais les récessions se caractérisent souvent par des spreads deux fois plus importants. Actuellement, le niveau des spreads n’intègre pas de prime pour l’augmentation des taux ou d’autre prime de risque inattendu. Mais à mesure que les marchés faiblissent, nous devrions entrer dans une phase où les performances sur 12 mois deviendront positives.

En période de récession, les spreads de l’investment grade américain ont tendance à dépasser les 200 pb. Nous n’y sommes pas encore, puisque le niveau actuel est d’environ 150 pb. En Europe, les spreads se sont encore écartés en raison du swap spread, mais la prime de risque (de crédit plutôt que de liquidité) n’est pas encore apparue pour justifier une position longue sur le bêta, sur la base de l’indice. Nous avons également pris comme référence les résultats et la valorisation des actions. Quelques faits : premièrement, la moitié des valeurs du NASDAQ ont baissé de plus de 50 %. Deuxièmement, sur la base du ratio cours/chiffre d’affaires, les fintech mondiales sont incontestablement survendues. Troisièmement, les titres FAANG (avec business models et flux de trésorerie réels) se sont repliés de 30 à 70 % depuis le pic. Enfin, les valeurs cycliques/value européennes n’ont jamais été aussi survendues par rapport aux défensives. Clairement, les actifs de longue duration ont été durement frappés et la récession a, dans une certaine mesure, été prise en compte.

Cycle de marché | Notre opinion sur les segments du marché

Cycle de marché | Notre opinion sur les segments du marché

Source : Robeco, septembre 2022

Ne luttons pas contre la Fed (ou toute autre banque centrale d’ailleurs)

Le retrait de liquidités par les banques centrales demeure le principal moteur sur les marchés. Les performances des actions et des crédits restent corrélées aux évolutions des bilans totaux des principales banques centrales du monde. Le passage entre assouplissement quantitatif (QE) et resserrement quantitatif (QT) entraîne une importante déflation des prix des actifs.

Les banques centrales ayant clairement fait savoir que leur priorité première est de ramener l’inflation à un niveau normal, nous n’anticipons pas de prochain programme de QE pour sauver le marché. Nous tablons au contraire sur une augmentation de la volatilité.

L’avant-dernière augmentation des taux n’interviendra pas avant quelques mois, et même lorsque les taux se seront stabilisés, l’histoire nous montre que nous pourrions d’abord connaître une période de baisse des rendements et d’augmentation des spreads.

En période de confusion, le passé nous apprend des choses

L’âge de la confusion a commencé. Les points d’inflexion dans le cycle économique, le cycle monétaire et certaines tendances de fond sur les plans géopolitique et démographique (allons-nous connaître des pénuries permanentes de main-d’œuvre ?) compliquent l’analyse de la période actuelle.

Sander Bus, co-responsable de l’équipe Crédit de Robeco, conclut : « Pour le moment, nous pensons que si nous devons tirer des enseignements du passé, c’est que le cycle économique devrait se poursuivre encore un peu, qu’il existe un risque que les banques centrales réagissent de façon disproportionnée et que les valorisations de marché en général ne tiennent pas encore compte d’une récession totale. Nous notons que les spreads ont augmenté, et nous avons commencé à acheter dans certaines poches du marché, mais il est prudent d’être un peu plus patients avant d’encourager les positions longues sur le bêta. »

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