Dans l’un de vos récents articles, vous avez dressé un parallèle entre les marchés actions et un marché d’actifs virtuels (marché des transferts en ligne de FIFA 19 Ultimate Team). Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet et sur vos principales conclusions ?
« C’est un sujet passionnant pour moi car l’un des problèmes de la recherche sur la valorisation des actifs est que l’on ne sait jamais vraiment ce qui conditionne les résultats. Il existe deux écoles : l’école néoclassique, qui dit que tout est lié au risque, et l’école comportementale – dont je suis un partisan – qui dit que cela pourrait être en partie lié au risque, mais aussi au comportement humain. Ces deux camps sont très difficiles à dissocier. »
« Mais je pense que nous avons trouvé un moyen d’y parvenir grâce à une expérience quasi-naturelle dans le cadre de laquelle nous avons utilisé le marché des transferts en ligne du jeu vidéo FIFA 19.1 Dans ce jeu, la qualité ou les fondamentaux des joueurs sont connus et fixes, ce qui signifie qu’il n’y a pas de flux d’informations fondamentales. Ainsi, si vous le comparez au marché boursier, les cours de ce dernier évoluent soit en raison d’informations fondamentales soit en raison de l’exubérance du marché. À l’image des tweets d’Elon Musk par exemple. »
« Dans le marché virtuel, les fondamentaux sont constants et on sait que chaque fluctuation des cours découle du comportement des individus car, par définition, il n’y a pas d’actualité. C'est donc l’une des extraordinaires caractéristiques de ce marché. En outre, il est très similaire au marché actions en termes de structure et d’acteurs. »
« Premièrement, ce marché est énorme. Des milliards de transactions y sont réalisées. Les adolescents ne sont pas les seuls à jouer à ce jeu en ligne. Nous avons un aperçu de la répartition des joueurs par tranches d’âge. Bien sûr, le joueur moyen est un peu plus jeune que le participant moyen des marchés actions, mais l’écart n’est pas si élevé. La majorité des joueurs sont des hommes et ont fait des études supérieures, ce qui est similaire à ce que nous observons sur les marchés actions. Le processus de négociation est également similaire puisqu’il comporte un carnet d’ordres à cours limité par exemple. Ce jeu est très sophistiqué. »
« Dans ce contexte, nous constatons que la dynamique des performances sur le marché de la FIFA est similaire à celle que nous observons sur les marchés actions. Sur ces derniers, il existe plusieurs facteurs dominants que nous retrouvons exactement sur le marché de la FIFA. À titre d’exemple, il existe une prime à la taille, à savoir que les joueurs dont la valeur de marché est inférieure ont des performances prévisionnelles supérieures. Il existe également le facteur valeur comptable/valeur de marché. Nous pouvons calculer la valeur comptable ou la valeur fondamentale des joueurs et nous observons un retour à la moyenne vers ce chiffre à terme. Nous observons également des schémas de momentum et de retour à la moyenne. Nous constatons des inversions des performances des joueurs qui ont bien joué la semaine précédente. Mais en regardant encore plus en arrière, nous pouvons constater également des schémas de momentum. »
« Il s’agit là de caractéristiques très similaires à celles des marchés actions. Par ailleurs, nous savons que le marché de la FIFA est exclusivement conditionné par le comportement, et pas par les fondamentaux. Donc, si nous tâchons de le comparer avec un marché actions, alors on peut constater qu’une part significative des fluctuations des cours des actions sont principalement conditionnées par le comportement, et non par le risque. »
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Une part significative des fluctuations des cours des actions ne sont pas principalement conditionnées par le risque, mais par le comportement.
Il existe des inefficiences de marché dont nous pouvons constater des exemples. Dans l’une de vos études, vous avez également analysé le cas de Royal Imtech en 2014 dont le cours était clairement déconnecté de ses fondamentaux. D’après vous, que peuvent nous apprendre ces anecdotes sur l’efficience des marchés ?
« Ce sont typiquement des exemples très frappants, à savoir des inefficiences. Dans notre document de travail, nous mettons en lumière une anomalie de valorisation de 800 %2. Il s’agit bien entendu d’une anecdote extrême. Mais si ce genre d’anomalies peut se produire, alors je pense qu’elles nous en apprennent plus sur le comportement de marché quotidien. Si nous pouvons être amenés à constater des anomalies de valorisation individuelles aussi extrêmes que celle-ci, alors c’est qu’il existe nécessairement d’autres anomalies de valorisation. »
« Nous tenons à rappeler qu’il est très difficile de dissocier les anomalies de valorisation des valorisations rationnelles. Ces anecdotes sont utiles car elles représentent des exemples dont nous sommes sûrs qu’il s’agit d’anomalies de valorisation. Je pense qu’elles sont importantes car elles sont très clairement identifiables. »
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Dans les récentes recherches sur la finance comportementale, constatons-nous des preuves supplémentaires que les facteurs de valorisation des actifs sont une résultante des anomalies de valorisation ? Par ailleurs, qu’est-ce qui vous passionne dans les recherches récentes ou futures dans ce domaine ?
« Ce que je constate beaucoup, c’est l’utilisation du machine learning dans la valorisation des actifs, notamment concernant les facteurs. Des centaines de facteurs ont été identifiés, certains mieux que d’autres je pense. Mais bien entendu, la question suivante se pose : est-ce vrai ? Peut-être que nous parlons de la même chose. Les facteurs font-ils l’objet d’une variation temporelle ou d’une variation géographique ? Donc je pense qu’une évolution passionnante est que les techniques de machine learning vous permettent de mieux identifier les facteurs importants, à quel moment et s’ils représentent les mêmes choses ou non. Je pense qu’il s’agit d’une évolution extraordinaire. »
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Les techniques de machine learning vous permettent de mieux identifier les facteurs importants.
« En outre, les partisans de la finance comportementale étaient considérés comme négatifs par le passé. Peut-être que c’était vrai car cette école de pensée pointait uniquement du doigt les dysfonctionnements sans vraiment les expliquer. D’autre part, les chercheurs qui ont étudié le comportement individuel, généralement des études sur le choix individuel, ont également donné d’autres explications, à l’image de la théorie des perspectives par exemple. Une autre critique de la finance comportementale était qu’elle présentait un nombre très important de biais. Et que chaque fois que vous identifiez un dysfonctionnement sur les marchés actions, il suffit de sélectionner un biais et de l’associer au problème. Il existe donc toujours un biais qui correspond à votre anomalie. »
« Ce que je trouve extraordinaire, ce sont les améliorations récentes. La profession réalise des progrès et identifie véritablement les mécanismes qui conditionnent les anomalies. Pour vous donner un exemple, de plus en plus d’articles publiés montrent que la théorie des perspectives a un effet sur la valorisation des actifs au niveau des préférences. Encore plus récemment, nous constatons que l’établissement des perspectives est inclus à la valorisation des actifs, à l’image de l’extrapolation des tendances. Ces études expérimentales montrent que lorsqu’une personne établit des prévisions sur les performances futures, elle se contente de s’appuyer sur un passé récent. Il s’agit d’une réaction humaine très importante. Les chercheurs intègrent désormais véritablement l’extrapolation des tendances à la valorisation des actifs dans la théorie financière dominante. »
« Nous observons donc le développement d’une alternative à l’hypothèse d’efficience des marchés. Ces progrès filtrent ce grand nombre de biais afin d’identifier le faible nombre d’entre eux qui jouent un rôle dans la valorisation des actifs de manière générale. »
Nous vous invitons à lire l’entretien dans son intégralité qui comporte également des commentaires sur la participation des investisseurs particuliers et sur l’investissement durable.
Notes de bas de page
1Montone, M., and Zwinkels, C.J., Avril 2021, “Risk, return and sentiment in a virtual asset market“, working paper, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3787339.
2Van den Assem, M. J., Van Dolder, D., Zwinkels, C.J., and Schauten, M. B. J., octobre 2020, “Can the market divide and multiply? A case if 807 percent mispricing “, Review of Behavioral Finance.