How did you come to single out climate risk as the key risk for financial investors?
« Cela remonte à la dernière crise financière. J’envisageais alors de quitter Goldman Sachs, et l’un de mes futurs partenaires m’a demandé ce que je comptais faire ensuite. J’ai répondu que je ne savais pas, et il m’a demandé si l’environnement m’intéressait. "Ça pourrait", ai-je répondu. À l’époque, le réchauffement climatique était encore une question secondaire pour moi. Mais j’ai rapidement commencé à me questionner sur son véritable degré de dangerosité.
Par la suite, on m’a présenté de nombreuses personnes travaillant dans ce domaine, et c’est ainsi que je suis tombé dedans, si je puis dire. Et je me rappelle avoir dit un jour à mon ami : "Le problème, tu sais, c’est que nous n’évaluons pas le risque." Il m’a rétorqué : "Le problème, c’est que personne ne sait comment évaluer le risque." J’ai pris cela comme un défi et je me suis mis à lire la littérature.
L’un des principaux experts en la matière s’appelait Bill Nordhaus, devenu par la suite Prix Nobel. Il avait essayé d’estimer les effets à venir du changement climatique et de les extrapoler à la période d’alors. Mais cela avait donné un chiffre si faible que cela ne semblait pas très sérieux. Je suis entré dans ce débat en affirmant que ce n’est pas ainsi que l’on évalue le risque à Wall Street. Il ne suffit pas de choisir un taux pour actualiser les flux de cash. Nous prenons en compte de nombreuses choses.
C’est ce qui rend le risque climatique un petit plus compliqué et un petit peu plus intéressant. J’ai fini par collaborer avec les économistes Kent Daniel et Gernot Wagner, avec qui j’ai co-écrit un article intitulé « Declining CO2 price paths ». Nous avons travaillé dessus pendant près de cinq ans avant qu’il ne soit publié il y a un peu plus d’un an, dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences 1. »
Quel en est le message principal ?
« Nous avons découvert qu’il est temps de fixer un prix du carbone très élevé, car nous commençons à subir les conséquences du réchauffement et à manquer de temps pour inverser les choses. Nous devons donc nous préparer aux pires scénarios. Il est clair que si nous avions commencé il y a vingt ans, en instaurant un prix du carbone élevé et en créant des incitations à réduire les émissions, nous ne serions pas en pleine crise existentielle.
Voilà ce qu’il faut en retenir. Par conséquent, nous devons donner un sérieux coup de frein, c’est-à-dire créer des incitations significatives et harmonisées pour réduire les émissions. Et nous devons le faire maintenant. »
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Une transition rapide va avoir lieu et aura des répercussions dans toute l’économie.
Quelles conséquences pour les investisseurs ?
« Les investisseurs du monde entier se posent tous la même question, à savoir comment adapter les portefeuilles à une transition rapide vers une économie bas carbone. C’est très bien, c’est exactement ce qu’il faut faire. Mais ce n’est pas facile. Cela signifie qu’il faut avant tout reconnaître qu’une transition rapide va avoir lieu, et qu’elle aura des répercussions dans toute l’économie, ainsi que sur la valorisation des titres. »
« Pour le moment, les investisseurs ne prévoient pas de transition rapide, mais plutôt une transition en douceur. Et en effet, le prix moyen du carbone n’est que de 2 dollars la tonne. Or, mes collègues et moi avons découvert que le prix adéquat est probablement supérieur à 100 dollars la tonne. C’est ce dont nous aurons besoin pour être sûrs d’éviter les pires scénarios. »
Si, comme vous le suggérez, le réchauffement climatique va radicalement transformer l’économie, les modèles quantitatifs (qui ont tendance à reposer sur des données statistiques passées) ne risquent-ils pas de devenir obsolètes ?
« Si vous me demandez si la lutte contre le réchauffement climatique relève davantage de l’investissement fondamental que de l’investissement quantitatif tels que nous les connaissons aujourd’hui, la réponse est oui, elle relèvera plus de l’investissement fondamental. Cela dit, en tant qu’investisseurs quantitatifs, nous pouvons également réfléchir aux conséquences de cette transition rapide et tenter d’en tirer parti. »
« Pensez aux conséquences pour l’industrie du pétrole et de l’automobile, par exemple. Pensez aux actifs bloqués. Pensez aux conséquences en matière de valorisation. Les investisseurs vont devoir surveiller toutes ces choses, et pour ce faire, ils auront besoin d’indicateurs et d’outils statistiques. Si c’est ainsi que l’on envisage l’investissement quantitatif, alors celui-ci peut conserver sa pertinence.
Imaginez par exemple, un facteur – et nous pouvons discuter de la manière d’en créer un – qui refléterait les prévisions relatives à la tarification du carbone. Nous pourrions alors passer en revue tous les actifs et évaluer leur incidence sur ce facteur, ce qui pourrait faciliter l’identification des opportunités d’investissement. Vous savez, les investisseurs quantitatifs essaient toujours de regarder vers l’avenir, même si les données qu’ils utilisent datent d’hier. »
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En tant qu’investisseurs quantitatifs, nous pouvons réfléchir aux conséquences de cette transition rapide et tenter d’en tirer parti.
Qu’en est-il de l’investissement passif ? Comment le voyez-vous évoluer dans un monde changeant ?
« Je pense que la tendance à gestion passive que nous observons depuis dix ans fait totalement sens. Mais à l’heure actuelle, il est difficile de dire à quoi ressemblera un portefeuille passif une fois aligné sur une transition rapide. Car il ne s’agit pas seulement d’en supprimer les énergies fossiles. Laissez-moi vous raconter une histoire pour illustrer mon propos.
Il y a sept ans, j’étais directeur du comité d’investissement du World Wildlife Fund (WWF). Nous réfléchissions à la manière d’aligner notre portefeuille sur notre mission. Ne voulant pas avoir d’actifs bloqués en portefeuille, ni de charbon et de sables bitumineux, nous envisagions de désinvestir. Mais nos conseillers nous ont dit qu’il faudrait alors se débarrasser de nombreux fonds en gestion active, ce qui, in fine, nous coûterait un bras et même une jambe.
Ils nous ont suggéré une manière rentable de procéder, à savoir utiliser un overlay (un swap en réalité), que nous avons baptisé « swap de rendement total sur actifs bloqués ». Nous avons donc signé un contrat avec une banque. Nous lui avons versé le rendement total de ce panier d’actifs bloqués et elle nous a versé le rendement total de l’indice S&P 500. Une façon simple et peu onéreuse d’abandonner ces actifs indésirables.
Cet instrument a généré un rendement annuel de 18 %, ce que nous n’avions pas prévu. Tout cela pour dire que la revalorisation des actifs a commencé il y a longtemps. Cela signifie-t-il qu’un portefeuille passif qui exclut les énergies fossiles surperformerait à l’avenir ? Je ne sais pas, car ces actifs sont pour le moment nettement moins chers. Aujourd’hui, la question est plus compliquée et va au-delà des simples exclusions. Il s’agit plutôt de sélectionner les bonnes entreprises. »
Note de bas de page
1Daniel, K, D., Litterman, R. B. and Wagner, G., 2019, “Declining CO2 price paths”, PNAS.
Investissement climat : de l'urgence aux solutions
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