Compte tenu du niveau tendu de l’offre de gaz et du niveau élevé des prix de l'électricité, l’Europe est en première ligne de la crise énergétique. Toutefois, un hiver doux permettra d’éviter les pannes d’électricité et le rationnement extrême dans les prochains mois. Jusqu’à aujourd’hui, l’Europe s’est assuré des importations de GNL auprès de fournisseurs divers et espère réduire encore la demande grâce à un mélange de consommation facultative et obligataire par l’industrie et les ménages au sein des États membres. Les mesures fonctionnent, des réserves sont constituées. Les importations de gaz de l’UE en provenance de Russie sont passées de 40 % à moins de 10 % en moins d’un an. Dans le même temps, les réserves de la zone euro pour l’hiver atteignent un niveau rassurant de 90 %, soit un excédent de deux à trois mois au début du mois d’octobre.1
Schéma 1 Importations européennes de GNL

European LNG imports are appreciably higher in 2022 versus the recent past (2019-2021).
Source: Bloomberg NEF
Schéma 2 Niveaux de stockage de gaz en Europe

Gas reserves are rising and approaching maximum capacity.
Note: GY us gas year which begins in October. GY22 is from October 1, 2022 to September 30, 2023.
À notre avis, les réductions de la consommation devraient être permanentes pour garantir la sécurité énergétique sur le moyen terme. Une guerre prolongée étant prévue, un sevrage difficile de gaz russe contraindra l’Europe à s’adresser sur le court terme au marché au comptant tendu et volatile afin de satisfaire ses besoins. Cela signifie que la facture énergétique de l’Europe demeurera élevée jusqu’en 2023 et probablement 2024 à mesure de la constitution de nouvelles réserves hors importations russes.
La construction accrue d’infrastructures pour la production d’énergies renouvelables, pour les capacités de stockage et pour la distribution prendront du temps et pendant que l’Europe est dans l’attente, les importations de GNL doivent combler le manque. Un soulagement à court terme pour les petites entreprises et les ménages à faible revenu (déjà sous pression à cause d’une inflation élevée et d’une hausse des taux d'intérêt) est bientôt prévu. Jusqu’à aujourd’hui, l’UE a consacré 300 milliards d’euros à des fonds de secours et les États membres ont adopté leur propre combinaison de plafonnements des prix, de subventions et de facilités de financement.
Mais même si l’intervention du gouvernement est nécessaire pour protéger les consommateurs et diminuer les risques de récession, elle peut également intensifier les pénuries de gaz si cette intervention échoue. Le niveau élevé des prix réduit la consommation, mais leur plafonnement limitera cette réduction comme certains États-membres l’ont vécu ces derniers mois.2 Un plafonnement des prix à l’échelle de l’UE est encore en discussion sachant que la principale inquiétude est la distorsion des prix.
Nous sommes convaincus que l’UE devrait favoriser l’approche néerlandaise discriminatoire où les prix sont plafonnés jusqu’à un certain niveau après lequel les consommateurs paient le plein tarif de marché, ce qui amortirait l’impact du niveau élevé des prix de l'énergie pour les ménages et réduirait également la consommation excessive. Par ailleurs, sauf en cas d’hiver rigoureux dans le nord de l’Asie, l’accès de la Chine à un gaz russe abondant et le ralentissement de son économie réduiront la concurrence mondiale et permettront au gaz d’être distribué en Europe.
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L’accès de la Chine à un gaz russe abondant et le ralentissement de son économie réduiront la concurrence mondiale et permettront au gaz d’être distribué en Europe
Un ensemble de facteurs
La discipline énergétique a remplacé la prudence budgétaire comme nouveau leitmotiv au sein de l’UE, mais tous les États ne font pas face aux mêmes contraintes et l’impact sera inégal entre les États-membres. Les différences de la géographique naturelle, du mix national du carburant, des températures régionales et des capacités de stockage influeront fortement sur l’indignation hivernale des États-membres.
Les vagues de froid dans le Nord pourraient nécessiter plus de gaz tandis que les climats plus doux dans le Sud pourraient atténuer les pressions sur les marchés de l’énergie. Des vents forts peuvent remplacer le gaz par l’éolien en Allemagne et au Royaume-Uni qui font face à la mer, mais ils n’aideront pas les États de l’Est enclavés tels que la Bulgarie, la Slovaquie et la Hongrie, tous fortement dépendants du gaz russe distribué par gazoduc. Dans le même temps, la solvabilité énergétique de la France dépend de la remise en service de certaines de ses centrales nucléaires. La Finlande et la Suède disposent de capacités de stockage de gaz proches de zéro, mais ont d’importantes usines hydro-électriques grâce à leurs cours d’eau et beaucoup de biomasse grâce à leurs forêts. Malgré les débats et les querelles initiales, les accords de partage de l’énergie verront le jour, réduisant davantage les risques de pénurie des États-membres.
Faible risque de pannes d’électricité, risque élevé de faillites
Si les pannes d’électricité seront probablement évitées, ce ne sera pas le cas des faillites. Comme dans le cas des pays, l’impact des prix de l'énergie sera inégal entre les secteurs et les entreprises sachant que celles fortement consommatrices d’énergie font les frais de cette crise. Les bénéfices des secteurs très consommateurs d’énergie, à l’image des services aux collectivités, du traitement des métaux et des produits chimiques, seront touchés en premier, suivis par l’alimentation, l’hôtellerie et le transport.
Les sociétés de services aux collectivités trop grandes pour faire faillite comptent sur le soutien de l’État tandis que les grandes entreprises dotés d’un important matelas de trésorerie ont réduit leur production. Les fabricants de produits chimiques et de métaux de base passent à l’utilisation du charbon meilleur marché pour satisfaire leurs besoins énergétiques et ferment leurs chaînes de production déficitaires.
La capacité à répercuter les coûts sur le consommateur a fortement protégé les entreprises aux marges élevées ou aux produits haut de gamme. Les secteurs extrêmement compétitifs et à faibles marges, dont l’aviation, l’alimentation et la distribution, seront encore plus soumis à des pressions puisque la hausse des prix se traduira par des pertes de parts de marché. Certaines d’entre elles ont habilement répercuté les coûts sur des consommateurs qui n’en ont pas conscience. Les producteurs de papier et de pulpe, qui comptent également parmi les principaux secteurs consommateurs d’énergie, fabriquent des feuilles de papier toilette plus courtes et plus fines tandis que les entreprises du secteur alimentaire, pénalisées par la hausse des prix des engrais et des matières premières, réduisent les portions des aliments.
Par ailleurs, des vagues destructrices déferlent sur les chaînes d'approvisionnement. Du verre et de l’aluminium au sucre et à l’ammoniac, les réductions de la production industrielle durcissent l’offre de matières premières et augmentent l’inflation des produits plus en aval.
Même si les entreprises s’adaptent, les fermetures sont inévitables, plus particulièrement parmi les PME qui n’ont pas la taille ni la trésorerie nécessaire. En Allemagne à fin août, les faillites et les fermetures étaient en hausse de 26 % par rapport à un an auparavant.3 En outre, la croissance de la zone euro devrait diminuer durant le second semestre de l’année 2022 et continuer de baisser en 2023, le niveau élevé de l’inflation et des coûts et les faibles dépenses des ménages réduisant les bénéfices.
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Une période de destruction créative a débuté, accélérée par la rareté de l’énergie et par une volatilité explosive
Saisissez les opportunités crées par la crise
Une période de destruction créative a débuté, accélérée par la rareté de l’énergie et par une volatilité explosive. Les entreprises qui comptaient sur des infrastructures historiques inefficientes et peu flexibles fonctionnant avec des carburants historiques auront de plus en plus de mal à survivre en raison de l’émergence de crises et de risques imprévus. Par ailleurs, l’intensité énergétique de l’extraction et du raffinage des ressources en amont explique que la rareté d’énergie menace de limiter les intrants parmi les matières premières, les matériaux raffinés et finis.
Commençons par la bonne nouvelle. L’achat d’énergies renouvelables avait déjà augmenté en 2021 et l’insécurité énergétique des entreprises devrait stimuler leur croissance de moyen à long terme. Dans le même temps, les dépenses d'investissement dans les technologies efficientes en termes d’énergie, d’intrants et de processus devraient également s’accélérer à mesure que les industries et les ménages s'adaptent à la rareté de l’énergie devenue la « nouvelle norme ». Les mandats de l’UE concernant les panneaux solaires sur les toits et les pompes à chaleur efficientes sur le plan énergétique accéléreront ces tendances. Par ailleurs, les forces en amont et en aval ainsi que le financement de l’UE entraîneront des investissements dans des réseaux intelligents connectés de manière dynamique qui permettront aux ménages, aux communautés, aux entreprises et aux États-membres d’utiliser et de partager de manière efficiente l’énergie.
Du côté des mauvaises nouvelles, les coûts de l’énergie, des intrants et des investissements resteront élevés de sorte que la consommation d’énergie doit restée disciplinée. Toutefois, la crise est souvent un catalyseur de changement. Les gouvernements, les consommateurs et les entreprises ne devront pas gaspiller les opportunités qu’elle créée.