Les conditions de marché sont difficiles presque partout. Qu’en est-il dans le crédit high yield ?
« Beaucoup de choses ont changé depuis le début de l’année. Le marché des obligations high yield a connu un très bon début d’année, les spreads ayant flirté avec les niveaux les plus serrés de leur histoire. À cette époque, la fin du cycle nous semblait proche (les mesures gouvernementales arrivaient à leur terme et nous anticipions une hausse de l’inflation et nous avions donc conservé notre sous-pondération des bêtas. Ce scénario se vérifie à présent de manière assez rapide. Les taux directeurs sont en hausse, les actions baissent et les spreads de crédit se sont élargis. Nous finissons par voir des spreads et des rendements bien supérieurs à la moyenne, à savoir 8 % pour le high yield en Europe et 9 % aux États-Unis, ce qui redevient intéressant. »
« Au sein de notre équipe (qui compte aussi les gérants de portefeuille high yield Roeland Moraal et Christiaan Lever), nous avons plus ou moins mis fin à la sous-pondération des bêtas et sommes prêts à les renforcer si les spreads continuent de se creuser – ce qui est probable dans un environnement très volatil où les valorisations ont tendance à repartir à la hausse. Tout cela est favorisé par le fait que les pressions inflationnistes sont si fortes que la Fed et la BCE devraient encore relever les taux, selon nous. Nous pensons même que les taux continueront d’augmenter jusqu’à tuer la demande.
La récession est-elle inévitable ?
« À l’heure actuelle la réponse est oui. Car c’est la seule solution pour l’inflation : tarir la demande pour forcer l’économie à entrer en récession. En général, les cycles d’augmentation des taux par les banques centrales se terminent par une récession, et ce devrait être également le cas cette fois. »
Au vu de ces perspectives, quelle est votre stratégie d’investissement high yield ?
« Tout dépend de ce que les autres investisseurs anticiperont. Notre approche contrariante consiste à prédire ce que les autres vont prédire, et donc d’avoir une longueur d’avance. Une fois que la perspective d’une récession fera consensus, et avant qu’elle ne commence vraiment, nous commencerons à acheter. Les performances suivront lorsque les prix des actifs high yield qui survivront se redresseront. »
Si ce scénario se réalise, craignez-vous des défauts ? Surveillez-vous les taux de défaut de près ?
« Les taux de défaut restent faibles. N’oublions pas qu’ils ne sont pas un indicateur de rendement, mais un indicateur retardé. En période difficile, l’élargissement des spreads est la première chose qui se produit. Résultat, certaines entreprises ne peuvent plus se financer et finissent par faire défaut, ce qui se reflète déjà dans les cours lorsque cela arrive. Mais aujourd’hui, on constate que les taux de détresse augmentent et les firmes concernées feront faillite dans six à douze mois. »
Comment mesurez-vous cela ?
« Le taux de détresse correspond au pourcentage d’entreprises qui se négocient avec des spreads de plus de 1 000 points de base par rapport aux obligations d’État. Si vous devez débourser 10 % plus pour financer votre activité, vous n’êtes clairement pas en position de vous refinancer. »
Inflation, récession, voilà qui semble bien décourageant. Quelle est votre analyse du monde dans lequel vous évoluez ?
« Le contexte est difficile. Nous avons connu 20 à 30 années de désinflation et de mondialisation dont les entreprises ont largement profité, en externalisant une partie de leur production et en faisant appel à une main-d’œuvre bon marché. Aujourd’hui, nous assistons à un revirement de tendance. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont fait prendre conscience aux décideurs politiques que la chaîne d’approvisionnement mondiale est vulnérable et qu’il est risqué de dépendre des régimes qui ne partagent pas nos valeurs occidentales. »
« Les économies occidentales cherchent à présent à gagner en indépendance, en particulier dans les secteurs stratégiques. Les entreprises exigent des chaînes d’approvisionnement sécurisées et ne recherchent plus l’option la moins chère uniquement. Cela signifie que la période de désinflation est derrière nous. La relocalisation et le rapatriement de la production, les risques géopolitiques et les évolutions démographiques contribueront tous à l’inflation, ce qui pourrait favoriser les travailleurs mais pas nécessairement les marchés financiers. Bref, le contexte est nouveau. Et il y aura des gagnants et des perdants. »
Un monde beaucoup plus volatil, alors ?
« Oui. Et n’oublions pas qu’une volatilité accrue est un risque pour les investisseurs en crédits. Nous cherchons surtout à éviter les perdants car ils sont synonymes de pertes. Les valeurs obligataires gagnantes, elles, ne présentent pas de potentiel de hausse ; elles versent leur coupon et vous récupérez votre argent. Pour s’en sortir dans cet environnement volatil, nous avons besoin d’une rémunération plus importante. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de spreads bien supérieurs à la moyenne. »
« La bonne nouvelle est que les marchés vont être revalorisés et s’en sortir. Cela signifie que l’on perdra de l’argent durant la phase de transition, jusqu’à ce que l’on atteigne les valorisations qui intègrent les risques. Il sera alors temps de repartir. Nous sommes déjà bien avancés dans cette transition, et elle est très violente. C’est ce qui explique le niveau très bas des marchés (actions, taux, crédits). Il convient donc de prendre en compte ce nouvel équilibre pour s’en sortir. »
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Quelle est votre devise pour traverser cette phase ?
« Être patient. Ne pas céder trop vite à la tentation de suivre le marché, attendre que l’occasion se présente. Notre expérience passée nous l’a montré : c’est lorsque le marché se trouve vraiment dans une mauvaise passe qu’il est temps d’y revenir. »
N’est-ce pas trop difficile pour vous de ne pas suivre le consensus ? C’est ce que vous faites depuis 25 ans, non ?
« Depuis 1998, oui. C’est difficile parce qu’il est normal de s’accrocher au passé récent, de penser que le marché est vraiment bon marché actuellement, puisqu’il était plus tendu de 200 pb l’année dernière. Or, pour bien comprendre les valorisations, il faut vraiment adopter une perspective à long terme. C’est-à-dire se référer non seulement aux années 2000, mais aussi aux années 1970 et 1980, qui furent des périodes marquées par la guerre froide, une faible croissance économique et une très forte inflation. »
« Parfois, une telle perspective à long terme a un coût. En 2021, nous avons connu une période de sous-performance à cause de notre positionnement sous-pondéré, lié au fait que les États sauvaient les entreprises. Mais nous étions convaincus qu’il était important d’être prudent et nous n’avons pas changé d’avis. Cette conviction et cette patience ont payé, et depuis ce qui s’est passé sur les marchés ces dernières semaines, nous sommes revenus dans le haut du tableau. »
Quel est le plus grand risque pour votre stratégie ?
« Le plus grand risque, bien sûr, est que notre vision ne se réalise pas. Cela pourrait être le cas si, par exemple, les gouvernements venaient de nouveau à la rescousse des entreprises pour les sauver. Pour que notre scénario se réalise, nous avons besoin d’un assainissement du marché, d’une vague salutaire de défauts et que les marchés fassent leur travail. Le dernier assainissement en bonne et due forme a eu lieu pendant la crise financière de 2008-2009. »
« Sur le marché du high yield, le plus grand risque serait un taux de défaut très élevé, provoqué par un marché simplement trop défavorable pour de nombreuses entreprises. »
« Le temps de l’argent facile est révolu. Les firmes auraient intérêt à en prendre conscience et à moins s’endetter à présent. Si elles ne disposent pas de la trésorerie disponible pour ce faire, elles devront se restructurer à leurs dépens, c’est-à-dire faire défaut. Le risque est que le marché s’effondre brutalement et que les rendements deviennent si négatifs que les investisseurs perdront confiance et jetteront l’éponge. Si cela arrive, ce pourrait être une opportunité d’achat unique. »
« Cette situation s’est déjà produite début 2009. Les gens pensaient que le crédit était mort et enterré, et que rien ne serait plus jamais pareil. Sur le plan professionnel, j’espère que ce sentiment reviendra, car c’est à ce moment que l’on peut vraiment faire de l’argent en tant qu’investisseur. »