Alors que les enjeux environnementaux bénéficient d’une bonne visibilité dans la lutte contre le réchauffement climatique, et que la gouvernance fait généralement partie des premières préoccupations des entreprises, les questions sociales sont souvent les grandes oubliées de l’ESG et des assemblées générales d’actionnaires, indiquent Michiel van Esch et Antonis Mantsokis.
Pourtant, les questions de société telles que l’égalité des genres, le salaire minimum vital et la santé au travail deviennent de plus en plus indispensables à la réussite d’une entreprise, estiment-ils. Pour les investisseurs, une façon de remédier à cela est d’exercer son droit de vote aux assemblées générales annuelles (AGA), qui ont lieu entre février et mai.
« Les questions sociales ont toujours été délaissées durant la saison des votes ; dans la plupart des AGA, l’ordre du jour se concentre sur des problèmes liés à l’environnement ou à la gouvernance », relate Michiel Van Esch. « Le changement climatique est devenu tellement urgent que les investisseurs proposent rapidement des plans de décarbonation.
La pertinence financière de la gouvernance n’a jamais été remise en doute par les investisseurs ; en effet, de nombreuses pratiques en la matière sont conçues pour répondre aux meilleurs intérêts des actionnaires. Mais pour une raison ou une autre, la matérialité financière des thèmes sociaux doit constamment être prouvée. »
Double matérialité
De nombreuses études ont été menées pour savoir si la diversité génère davantage de profits ou si le versement de salaires minimums vitaux procure un quelconque bénéfice pour les actionnaires. « Mais ce n’est qu’un côté de la médaille », précise Michiel Van Esch. « La pertinence des enjeux sociaux est plus facile à comprendre par le prisme de la double matérialité, c’est-à-dire en associant importance financière et saillance.
Nous pouvons observer cela dans le secteur des technologies où les sujets saillants en matière de droits humains, tels que le respect de la vie privée et la liberté d’expression, s’accompagnent de risques importants comme le risque réglementaire et l’examen par l’opinion publique. Par conséquent, demander au conseil d’administration d’une entreprise technologique d’accroître le suivi des droits humains fait sens, tout en étant dans les meilleurs intérêts de la société. »
Le pouvoir du vote
Les investisseurs se font de plus en plus entendre sur les questions ESG au sein d’entreprises qui étaient souvent réticentes à changer avant d’être poussées à le faire. Les actionnaires peuvent voter contre la réélection d’administrateurs, refuser d’accepter certains systèmes de rémunération et déposer des résolutions pour exiger des changements spécifiques dans les politiques d’une entreprise. Jusqu’à présent, la plupart de ces actions ont concerné des questions environnementales ou de gouvernance, mais les choses changent.
« Ces cinq dernières années, nous avons vu des actionnaires soulever des problèmes liés à la gestion des ressources humaines et soumettre des résolutions en ce sens lors des assemblées générales de nombreuses entreprises », commente Antonis Mantsokis. « Durant la dernière saison des AGA, nous avons voté en faveur de 96 % des propositions d’actionnaires portant sur le social.
Le Covid-19 ayant mis en lumière les mauvaises conditions de travail de certains travailleurs qui se sont retrouvés encore plus fragilisés durant les confinements, les actionnaires mettent également en avant les questions sociales en lien avec les pratiques de l’entreprise.
Nous avons vu des actionnaires soumettre des propositions exigeant des rapports sur les mesures de lutte contre le harcèlement sexuel, et des entreprises faire des efforts en matière de diversité, d’inclusion et de politique du personnel. »
Un soutien accru
Les résolutions sociales de ce type sont de plus en plus soutenues par les actionnaires, puisqu’ils ont été 45 % en moyenne à voter pour en 2021, contre 17 % en 2020, selon l’agence de conseil en vote Glass Lewis. Cela montre que les investisseurs reconnaissent l’importance de ces questions et que les entreprises doivent prendre des mesures pour les régler.
Aujourd’hui, les investisseurs s’attaquent de plus en plus à la question de l’égalité des genres. « Depuis 2015, plus de 60 propositions d’actionnaires concernant le genre mais aussi les discriminations raciales en matière de salaires ont été soumises », souligne Antonis Mantsokis.
« Ces propositions demandaient aux entreprises de déclarer tout écart de salaire existant entre les hommes et les femmes ayant des postes et des qualifications comparables. Nous pensons que la transparence et la communication de ces données, notamment en matière d’inégalités salariales, feront augmenter le nombre de femmes promues à des postes plus élevés.
Dans le même temps, cela devrait améliorer la productivité et garantir le traitement équitable des employés, quel que soit leur genre. C’est pourquoi nous continuerons de soutenir les propositions qui préconisent une meilleure communication des informations sur ce sujet. »
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Focus sur l’égalité raciale
Le mouvement Black Lives Matter, né d’une manifestation contre les violences policières aux États-Unis, s’est élargi à la question de savoir si les comportements des entreprises pénalisent aussi les communautés noires et minoritaires.
« Durant la saison 2021 des votes, nous avons vu de nombreux investisseurs et défenseurs des actionnaires soumettre des résolutions axées sur l’égalité raciale », indique Michiel Van Esch. « Ils demandaient aux entreprises (le plus souvent des institutions financières) de réaliser des audits sur l’égalité raciale afin de déterminer en quoi leurs activités ont des "effets indésirables sur les parties prenantes non blanches et les communautés de couleur".
Plusieurs autres propositions ont demandé à des sociétés technologiques de signaler si les politiques écrites ou les normes non écrites conduisent à leur tour à renforcer le racisme, et de communiquer sur la façon dont elles prévoient de favoriser la justice sociale. »
Une perspective plus large
Nombre de ces propositions ont reçu un fort soutien de la part des actionnaires, mais elles n’ont pas toutes été adoptées : seuls 11 % des investisseurs ont appuyé une résolution de ce genre dans une grande société technologique, et 38 % dans un groupe de santé. Les régulateurs et les marchés prennent à présent des mesures plus strictes pour adopter une perspective plus large de ce qu’englobe la diversité, et de ce que l’on attend des entreprises.
« Sur les marchés tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, nous observons à présent que les bonnes pratiques évoluent et fixent des exigences en matière de diversité qui vont au-delà de la seule question du genre », constate Antonis Mantsokis. « Par exemple, le Nasdaq a poussé les sociétés qui le composent à rendre compte de la composition de leur conseil d’administration au-delà de la distinction hommes-femmes, et exigé qu’elles élisent des administrateurs se déclarant membres d’une minorité raciale ou de la communauté LGTBQ. »