La pandémie de Covid-19 a grandement bouleversé le secteur immobilier. Avec la réouverture progressive des économies, la plupart des segments ont encore du mal à se remettre du choc initial, tandis que d’autres continuent de profiter d’une reprise intermittente. Plus d’un an après le grand confinement de début 2020, beaucoup de bureaux, d’hôtels et de commerces de détail traditionnels ont encore beaucoup de chemin à faire pour retrouver une activité normale. Dans le même temps, la logistique et les centres de données continuent d’avoir le vent en poupe.
Compte tenu de l’amplitude du choc qu’elles ont subi, le Covid-19 aurait pu, au minimum, donner aux sociétés immobilières une longueur d’avance dans leur course pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés en 2015 dans l’Accord de Paris sur le changement climatique. Pourtant, cela ne semble pas être le cas. D’après l’analyse de Robeco, même si les émissions de carbone d’un grand nombre de sociétés immobilières ont diminué de façon significative en 2020, cette baisse n’est qu’un avant-goût de l’avenir et montre à quel point la décarbonation du secteur sera difficile.
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Même si les émissions de carbone de beaucoup de sociétés immobilières ont diminué de façon significative en 2020, cette baisse n’est qu’un avant-goût de l’avenir.
Un secteur qui contribue largement aux émissions mondiales de gaz à effet de serre
Le secteur immobilier contribue beaucoup aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), y compris le CO2. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’environnement bâti représente plus de 38 % des émissions totales liées à l’énergie qui sont générées chaque année. Le fonctionnement des bâtiments qui comprend le chauffage, la climatisation et l’éclairage représente 28 % des émissions mondiales, et les matériaux et la construction de bâtiments, généralement associés au carbone incorporé, représentent encore 11 %.
Afin de réaliser les objectifs de l’Accord de Paris, le secteur immobilier devra réduire ses émissions de carbone à un taux annuel de 6 % (85 % d’ici 2050). Ce défi nécessitera des investissements importants dans des programmes de modernisation, dont le montant dépasse potentiellement 20 000 milliards de dollars.1 Ces programmes sont la seule solution pour éviter de supporter des coûts encore plus élevés sous la forme de taxes liées au carbone ou de s’exposer au risque d’actifs bloqués.
Mais, même s’il peut être utile d’estimer leurs coûts potentiels pour évaluer les efforts à fournir pour engager le secteur sur la bonne voie, une telle estimation ne donne pas nécessairement d’indication sur le bouleversement réel que cela implique. De ce point de vue, l’analyse de l’impact de la crise du Covid-19 sur les émissions de carbone du secteur en 2020 et sa comparaison avec la trajectoire de décarbonation requise donnent une idée bien plus précise des efforts colossaux à fournir pour atteindre ces objectifs.
Pour évaluer l’impact de la pandémie sur les émissions de carbone du secteur immobilier durant l’année dernière, nous avons examiné les niveaux absolus d'émissions de carbone Scope 1 et 22 qui ont été déclarés par 200 des plus grandes sociétés immobilières cotées. Nous avons constaté que, jusqu’à présent, seules 134 d’entre elles ont déclaré des émissions de carbone Scope 1 et 2 pour les années 2019 et 2020. Ces 134 entreprises représentent 65 % de la capitalisation boursière de l’indice S&P Developed Property.
Nous avons également découvert que les émissions de carbone totales Scope 1 et 2 de ces 134 entreprises ont baissé de 6 % en moyenne en 2020. Bien qu’une réduction de 6 % des émissions absolues de carbone corresponde à la trajectoire prévisionnelle de la décarbonation que l’immobilier coté devrait suivre pour réaliser les objectifs de l’Accord de Paris, nous aurions pu nous attendre à une baisse beaucoup plus forte dans une année où l’économie s’est presque retrouvée paralysée pendant plusieurs mois. Ce constat illustre l’ampleur de la tâche qui attend ce secteur.
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La réduction globale relativement faible des émissions s’explique notamment par le fait que le Covid-19 a touché certains sous-secteurs de façon disproportionnée, alors que d’autres ont connu une forte hausse d’activité.
Des différences importantes entre les segments
La réduction globale relativement faible des émissions s’explique notamment par le fait que le Covid-19 a touché certains sous-secteurs de façon disproportionnée, alors que d’autres ont connu une forte hausse d’activité. Le graphique 1 illustre cette situation. Sur l’axe x, le graphique indique l’intensité carbone de chaque segment, tandis que l’axe y indique l’évolution des émissions absolues de carbone de chaque segment de 2019 à 2020. La taille de chaque bulle reflète la quantité absolue d’émissions de carbone.
Sans surprise, le sous-secteur le plus touché a été celui des REIT de l’hôtellerie et des complexes touristiques. Quand la pandémie a éclaté, les voyages professionnels et de loisir se sont quasiment arrêtés d’un coup, et beaucoup d’hôtels ont été fermés pendant une bonne partie de l’année. Parmi les segments les plus durement touchés par les mesures prises pour freiner la propagation du virus figurait également celui des REIT de la distribution, car les magasins physiques et les centres commerciaux sont restés fermés ou ont vu le nombre de clients chuter.
Graphique 1 : Émissions de carbone absolues (Scope 1et 2) par segment – 2019 par rapport à 2020

Source : Robeco, novembre 2021.
Les autres segments sévèrement affectés par le Covid-19 ont été les REIT de bureaux, les gens ayant été contraints de travailler à domicile, et les sous-secteurs de l’immobilier diversifié, où l’immobilier de bureaux et de centres commerciaux est largement représenté. Enfin, les REIT du secteur de la santé ont eux aussi beaucoup souffert. Un grand nombre de sociétés dans ce segment possèdent leurs propres résidences pour seniors, lesquelles ont aussi dû fermer pour une longue période au plus fort de la pandémie.
À l’opposé, les segments des REIT spécialisés et des REIT industriels ont connu une croissance inédite, après que les entreprises ont dû organiser leurs réunions à distance plutôt qu’en présentiel et que les consommateurs ont privilégié le commerce en ligne au détriment des magasins physiques. Les opérateurs de centres de données représentent une grande partie des REIT spécialisés et ont connu une croissance soutenue en termes de taux d’occupation et de nombre de centres de données en service.
De plus, les REIT industriels comptaient parmi les grands gagnants de la transition générale du physique vers le numérique. La majorité des actifs détenus par les sociétés de cette catégorie de REIT comprend des entrepôts et d’autres actifs liés à la logistique. Ces sociétés ont profité de la croissance exceptionnelle du commerce en ligne en pleine pandémie, une tendance qui ne s’est pas inversée après la réouverture progressive des économies durant le deuxième semestre de l’année.
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Les investisseurs seront en mesure de déterminer si le secteur suit vraiment des objectifs alignés sur l’Accord de Paris en matière de neutralité carbone au plus tôt fin 2023, et pas avant.
Impact durable sur le suivi des progrès en matière de décarbonation
Concernant l’avenir, il faut également souligner que l’impact de la pandémie faussera toute analyse des progrès réalisés par le secteur immobilier en matière de décarbonation pendant encore une année au moins, voire plusieurs années. Par conséquent, les investisseurs seront en mesure de déterminer si le secteur suit vraiment des objectifs alignés sur l’Accord de Paris en matière de neutralité carbone au plus tôt fin 2023, et pas avant.
Nous pourrons alors comparer les informations communiquées sur les émissions de carbone avec celles de 2019, la dernière année de l’ère pré-pandémie. Espérons que d’ici là, nous disposerons d’informations bien plus précises sur les émissions de carbone Scope 3, qui représentent la majeure partie de l’empreinte carbone globale du secteur immobilier.
En attendant, ces considérations nous rappellent aussi les implications importantes des engagements ambitieux pris par un nombre croissant de pays pour atteindre la neutralité carbone. Comme nous l’avons affirmé dans un récent livre blanc sur la décarbonation du secteur immobilier, il est grand temps que les investisseurs dans les sociétés immobilières cotées commencent à intégrer les stratégies de décarbonation dans leur système de valorisation et leurs décisions d’investissement.
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Notes de bas de page
1 Source : Morgan Stanley BluePaper (2019) : « Decarbonization: The Race to Net Zero » ; Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction, Agence internationale de l’énergie et Programme des Nations Unies pour l’environnement (2019) : « 2019 global status report for buildings and construction: Towards a zero-emission, efficient and resilient buildings and construction sector » ; Robeco.
2Les émissions de GES sont mesurées dans trois catégories, en fonction de la manière dont elles sont générées. Les émissions Scope 1 sont celles qui sont directement générées par l’entreprise, par exemple par les gaz d’échappement des avions d’une compagnie aérienne. Les émissions Scope 2 sont celles qui sont créées par la production de l’électricité ou de la chaleur dont l’entreprise a besoin pour vendre ses principaux produits ou fournir ses principaux services. Les émissions Scope 3 sont celles qui sont causées par l’ensemble de la chaîne de valeur, y compris l’utilisateur final du produit tout au long de son cycle de vie, et sont beaucoup plus difficiles à mesurer. Pour les sociétés immobilières, les émissions Scope 3, qui représentent généralement la grande majorité des émissions, comprennent notamment les émissions provenant des matériaux de construction utilisés par un promoteur pour un nouveau bâtiment ou, par exemple, les émissions provenant de la consommation d’énergie des locataires.