24-06-2021 · SI Opener

SI Opener : Le « Say on Climate », ou comment soumettre les plans d’action climatique au vote des actionnaires

Les actionnaires ont l’habitude de s’exprimer sur un large éventail de propositions. Il peut s’agir d’élire les membres du conseil d’administration, de se prononcer sur une politique de diversité ou de modifier les statuts afin de faire évoluer la rémunération des dirigeants. En cette saison 2021 des assemblées générales, nous assistons à l’arrivée d’un nouveau type de proposition : le « Say on Climate », signe que les questions climatiques sont de plus en plus importantes pour les investisseurs et les entreprises.

    Auteurs

  • Masja Zandbergen-Albers - Head of sustainability Integration

    Masja Zandbergen-Albers

    Head of sustainability Integration

Une nouveauté

Le « Say on Climate » est (du moins jusqu’à présent) une stratégie de transition énergétique présentée par la direction, et qui décrit la façon dont celle-ci souhaite relever les défis du changement climatique. Les actionnaires votent selon qu’ils estiment que l’entreprise est sur la bonne voie en matière de décarbonation ou qu’elle a besoin de revoir sa copie.

Dans la plupart des cas, les points à l’ordre du jour d’une AG ont trait aux questions de gouvernance, par exemple l’élection des membres du conseil d’administration et leur rémunération. Les questions environnementales ou sociales ne sont pas incluses, sauf si un investisseur (ou un groupe d’investisseurs) parvient à déposer un projet de résolution. Ces résolutions prennent souvent la forme d’une demande spécifique en matière d’ESG, par exemple l’instauration d’une politique pour mettre fin aux inégalités de salaires entre hommes et femmes, la préparation d’un rapport sur les activités de lobbying, ou l’élaboration d’une stratégie de lutte contre le réchauffement climatique. Le « Say on Climate » est une nouveauté en ce sens où c’est la direction elle-même qui formule désormais ce type de proposition.

Son potentiel est comparable à celui du « Say on Pay ». Si les actionnaires doivent régulièrement se prononcer sur des propositions climatiques, cela finira par générer de bonnes pratiques, améliorer la communication et accroître la responsabilité par rapport au plan climatique d’une entreprise. Lorsque l’on soumet une proposition au vote des actionnaires, ceux-ci veulent comprendre ce pour quoi ils votent. Si on fait le parallèle avec le « Say on Pay », on pourrait arguer que nous ne sommes pas parvenus à réduire la rémunération des dirigeants ces dernières années, mais qu’au moins les rapports sur cette question ont été améliorés et que dans de nombreux cas, les actionnaires ont réussi à apporter des modifications dans la conception des politiques de rémunération.

Dilemmes et débats entre les investisseurs

Même si le « Say on Climate » a le potentiel d’accroître la responsabilité d’une entreprise en matière de réchauffement climatique, tout le monde n’est pas favorable à ce nouveau type de vote. D’aucuns estiment que cela empêchera le management de mettre en place plus de mesures pour lutter contre le réchauffement climatique, ou même que les actionnaires devront assumer une responsabilité climatique s’ils approuvent ce type de plan.

Par conséquent, il est important que la direction explique clairement ce pour quoi les actionnaires votent. Si l’intention d’une firme est d’évaluer l’adhésion de ses actionnaires à son plan climat, un vote consultatif basé sur un rapport climatique sera plus pratique. Il arrive également que les propositions climatiques de la direction s’opposent à celles des actionnaires. Il revient alors à l’investisseur de décider lesquelles approuver.

Jusqu’à présent, nous avons généralement soutenu les propositions qui répondent à un ensemble de critères, notamment le fait ou non que l’entreprise ait défini un objectif de neutralité carbone et qu’elle ait présenté des mesures concrètes pour y parvenir, à l’aide de cibles à court, moyen et long terme. En outre, nous exigeons que la proposition repose sur une analyse des scénarios compatibles avec l’Accord de Paris, et que les progrès soient communiqués, conformément au cadre du Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat (TCFD). Lorsque aucun « Say on Climate » ne répond à nos critères, nous votons le plus souvent en faveur d’autres propositions d’actionnaires sur le climat.

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Un soutien important

Les premières résolutions « Say on Climate » soumises au vote ont obtenu un large soutien des actionnaires. Unilever est l’une des entreprises dont la stratégie climat a reçu le plus de votes favorables, avec un total impressionnant de 99 % des voix. Plusieurs sociétés opérant dans des secteurs traditionnellement très émetteurs ont également bénéficié de l’appui important de leurs actionnaires : 92 % pour Total, 88 % pour le plan de transition énergétique de Royal Dutch Shell, 94 % pour Glencore, et 92 % pour Canadien National (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada), l’une des premières sociétés à avoir présenté une proposition « Say on Climate » à ses actionnaires.

Que nous apprennent ces premiers cas ? Que les actionnaires approuvent facilement les pratiques climatiques des entreprises ? On pourrait le penser, mais ce n’est pas forcément vrai. Plusieurs raisons nous incitent à être optimistes quant à l’utilité de ce type de vote.

Les entreprises qui ont soumis au vote des résolutions « Say on Climate » l’ont fait de manière volontaire. Par conséquent, il est probable qu’elles se sentent plus l’aise pour présenter leurs plans climatiques que leurs pairs qui sont toujours à la traîne en matière de transition. Si ces derniers devaient soumettre leurs plans au vote, ils rencontreraient sans doute plus d’opposition. Mais dans la mesure où cette procédure n’est pas obligatoire, cela ne devrait pas se produire de sitôt.

Les cadres doivent encore être élaborés

Par ailleurs, le « Say on Climate » est une nouveauté pour de nombreux actionnaires. Les recommandations de bonnes pratiques, les cadres de politique et les principes de vote doivent encore être formulés. Une fois que ce sera fait, il est probable, d’une part, que les actionnaires voteront contre s’ils estiment que les plans de mise en œuvre ne sont pas assez détaillés et, d’autre part, que les entreprises ne progressent pas suffisamment si les cibles à atteindre ne sont pas définies en temps voulu ou avec suffisamment d’envergure et d’ambition.

Plus il y aura de « Say on Climate » soumis au vote, plus il sera facile d’identifier les différences de qualité entre ces plans. À l’instar des « Say on Pay », il est important de prévoir un dispositif de retours d’expérience : les conseils des investisseurs sont essentiels pour aider les actionnaires à se décider. Sans cela, se contenter de voter contre une proposition « Say on Climate » n’aidera pas à la direction à savoir ce qu’il faut améliorer.

Et après ?

Les propositions « Say on Climate » vont-elles perdurer ? Selon nous, d’autres entreprises vont les mettre en place lorsqu’elles seront suffisamment à l’aise pour publier un plan de transition énergétique, et assurées d’obtenir du soutien. Les actionnaires pourraient favoriser cela en plaidant pour l’organisation de tels votes lorsqu’ils dialoguent avec les entreprises.

Un autre élément de soutien pourrait venir de l’institutionnalisation plus poussée du vote des actionnaires, comme nous l’avons observé avec les votes sur la rémunération aux États-Unis et dans l’UE. Ces évolutions seront probablement lentes, mais nous les surveillerons de près dans les années à venir.

La saison 2021 des AG est d’ores et déjà exceptionnelle puisque toutes les assemblées se déroulent en ligne et que de nombreuses entreprises ont été sévèrement affectées par le Covid-19. Nous espérons que ces difficultés liées à la pandémie disparaîtront, mais pas les résolutions « Say on Climate ».