12-04-2019 · Interview

Les facteurs sont une caractéristique permanente des marchés financiers

Les primes factorielles vont-elles perdurer ? Guido Baltussen, Laurens Swinkels et Pim Van Vliet ont récemment publié un nouvel article fondateur 1 qui examine les preuves de l’existence de diverses primes factorielles dans de multiples classes d’actifs, à l’aide de nouvelles données financières historiques encore jamais utilisées. Nous avons demandé à Guido Baltussen, professeur de finance à l’université Érasme et co-responsable de l’allocation quantitative chez Robeco, pourquoi cette étude a été réalisée, et quels en sont les principaux résultats et conclusions.

    Auteurs

  • Guido Baltussen - Head of Factor Investing and Co-head Quant Fixed Income

    Guido Baltussen

    Head of Factor Investing and Co-head Quant Fixed Income

Cela fait des décennies que les universitaires étudient les primes factorielles, à l’aide d’ensembles de données qui s’étalent parfois sur de très longues périodes. Pouvez-vous expliquer ce qui a déclenché cette nouvelle étude ?

« L’une des craintes fréquemment soulevées par les détracteurs de l’investissement factoriel est que même si les facteurs ont été documentés en long et en large par les universitaires ces derniers temps,2 rien ne garantit qu’ils persisteront à l’avenir. La principale raison étant le p-hacking, selon lequel certaines conclusions académiques résultent simplement du hasard. Si tel est vraiment le cas, alors l’exposition explicite aux facteurs ne serait pas forcément synonyme de meilleures performances corrigées du risque à long terme.

Pour nos clients, il est donc très important de savoir quels facteurs existent vraiment et lesquels offrent des performances intéressantes. Une manière efficace de déterminer si les facteurs ne sont qu’une anomalie statistique ou le résultat du data mining des données relativement récentes consiste à examiner leur existence sur une très longue période. C’est ce que nous avons fait : nous avons examiné les portefeuilles factoriels sur les principaux marchés mondiaux en remontant jusqu’en 1800. »

Mais les inquiétudes liées au data mining ne concernent pas que la durée relativement courte des séries temporelles généralement analysées par les chercheurs dans la finance. Déterminer quelles tendances de prix examiner n’est pas non plus aussi simple qu’il n’y paraît. La question de savoir quels sont les facteurs vraiment pertinents pour les performances attendues fait toujours débat. Comment avez-vous abordé cette question ?

« Pour éviter les objections sur ce point, notre approche a consisté à limiter notre étude aux six facteurs les plus documentés dans les principales revues scientifiques à comité de lecture. Nous avons répliqué ces anomalies et étudié des données s’étendant sur deux siècles afin de trouver les preuves de leur existence dans les indices actions, les obligations d’État, les devises et les matières premières. »

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Comment avez-vous compilé un ensemble de données aussi vaste ?

« Nous avons utilisé une combinaison de différents ensembles de données. Il est très difficile d’obtenir des données historiques datant de plusieurs siècles. Compiler ce genre d’information nécessite un intense travail manuel (scanner, vérifier, transcrire et recouper les données avec celles d’archives).

Pour cette étude, Robeco a demandé à l’université Érasme de Rotterdam d’obtenir des données historiques provenant de diverses sources afin de réaliser une étude académique qu’il a mise à disposition de l’établissement. Nous avons ensuite combiné ces données aux informations issues de fournisseurs plus conventionnels, tels que Bloomberg et Reuters. »

Pour la plupart des primes factorielles, nous avons trouvé des preuves convaincantes dans presque toutes les décennies de la période que nous avons analysée pour toutes les classes d’actifs.

Quelle est selon vous votre découverte la plus importante ?

« Je dirais sans hésiter le niveau très élevé de persistance des primes factorielles. Des recherches antérieures sur des ensembles de données récentes nous portaient à croire que ces primes perduraient dans le temps. Mais nos résultats ont nettement dépassé nos attentes. Nous avons notamment constaté l’existence de primes significatives, persistantes et solides de momentum, de valorisation, de saisonnalité et de carry au sein des quatre classes d’actifs étudiées.

Les preuves étayant l’existence de ces primes ne se limitent pas à une sous-période en particulier. Dans toutes les classes d’actifs et pour la plupart des primes factorielles, nous avons découvert des données probantes dans presque toutes les décennies de la période analysée. Nous avons également identifié l’existence de primes factorielles significatives dans tous les contextes de marché ou économiques : marchés haussiers et baissiers, périodes inflationnistes ou non, périodes d’essor et de récession.

Nos résultats montrent aussi qu’un portefeuille multi-actifs et multifactoriel diversifié peut générer des performances très stables sur de très longues périodes. C’est un point important car cela renforce notre conviction que les primes de facteurs sont une caractéristique permanente des marchés financiers et non un simple phénomène de marché passager. »

Vos résultats donnent-ils des informations sur les éléments qui expliquent les primes factorielles ?

« L’une de nos principales conclusions est que les primes factorielles que nous avons étudiées ne correspondent absolument pas à une rémunération du risque. Cela conforte l’hypothèse comportementaliste pour expliquer ces anomalies. Cela va également dans le sens de recherches antérieures menées par Robeco et des universitaires, qui montrent que les primes de facteurs ne compensent pas nécessairement l’augmentation de la prise de risque3. »

De ce point de vue, l’investissement factoriel multi-actifs semble être un style relativement simple pouvant être mis en œuvre assez facilement, à l’aide de produits smart beta et obligataires, par exemple. Est-ce vraiment si simple ?

« Pas tout à fait. En premier lieu parce que la collecte de primes factorielles dans de multiples classes d’actifs exige une approche beaucoup plus sophistiquée que les solutions génériques à un seul facteur souvent appliquées. Pour générer des performances solides et stables, vous devez rester suffisamment diversifié entre les classes d’actifs, les marchés et les facteurs – en toutes circonstances. Et pour garantir une bonne diversification, il est impératif d’adopter une approche globale. Une combinaison de plusieurs solutions factorielles génériques ne le permettra pas. »

Notes de bas de page

1 Baltussen, G., Swinkels, L. and Van Vliet, P., 2019. “Global Factor Premiums”, working paper available on SSRN
2 See for example: Dimson, E., Marsh, P. and Staunton, M., 2017. “Factor based investing: The long term evidence”, The Journal of Portfolio Management, Vol. 43, No. 5, pp. 15-37.
3 See for example: De Groot, W. and Huij, J., 2018. "Are the Fama-French factors really compensation for distress risk?", Journal of International Money and Finance, Elsevier, vol. 86(C), pp. 50-69.