La majorité de vos dernières recherches empiriques se sont concentrées sur les aspects très pratiques de la mise en œuvre des stratégies d'investissement factoriel. Comment a évolué la perception des investisseurs à l'égard de ce type d'approche, ces dernières années ? Avez-vous décelé des tendances majeures ?
« Depuis quelques années, on observe en effet des évolutions très rapides dans ce domaine. Personnellement, je vois trois grandes tendances dans la façon dont l'investissement factoriel est considéré aujourd'hui. Premièrement, les investisseurs veulent de plus en plus intégrer l'investissement factoriel dans leur portefeuille, mais ils ne sont pas forcément intéressés par les stratégies actives plus traditionnelles. La mise en place de l'investissement factoriel par le biais de produits indiciels devient très populaire.
Deuxièmement, les stratégies multifactorielles sont en plein essor. Alors qu'au départ les investisseurs avaient tendance à allouer leurs fonds à un facteur particulier qui les intéressait (valorisation ou faible volatilité, par exemple), aujourd'hui ils recherchent de plus en plus des solutions offrant une exposition à plusieurs primes. C’est une façon pour eux de réduire la pression les années où un facteur particulier sous-performe.
Troisièmement, l'investissement factoriel multi-actifs a également le vent en poupe. On observe une demande accrue de stratégies d'investissement factoriel dans plusieurs types d'actifs. Cela est cohérent avec le fait que les facteurs devraient empiriquement être bien documentés et réfutés sur de longues périodes et dans différents marchés et classes d'actifs. »
Par où commencer pour un investisseur qui s'intéresse à l'investissement factoriel ? Sur quels aspects doit-il se concentrer ?
« La première chose à savoir – et je pense que c'est le cas de la plupart des investisseurs, maintenant – est que s'engager dans l'investissement factoriel n'est pas une décision binaire. Il ne s'agit pas de décider de s'y lancer sans se soucier par la suite de la façon de s'y prendre, en se contentant de rechercher la solution la moins chère. Il me semble que de plus en plus d'investisseurs se rendent compte que les choix effectués après avoir décidé d'opter pour l'investissement factoriel sont d'une importance cruciale pour la réussite de leur stratégie.
Le premier choix important consiste à déterminer les facteurs auxquels ils devraient stratégiquement allouer leurs fonds. Cela peut sembler évident, mais cela n'a rien d'anodin et les chercheurs de renom continuent de débattre cette question. Pour certains experts, il n'existe que deux facteurs pertinents, pour d'autres six et pour d'autres encore, 400. Ce qui, pour un investisseur, soulève la question suivante : quand un facteur est-il pertinent ?
Chez Robeco nous avons beaucoup étudié ce sujet. Nous avons testé les facteurs plus exotiques et leur efficacité en les comparant à une poignée de facteurs plus traditionnels. Il ressort de ces recherches1 que les seuls facteurs qui fonctionnent (en tenant compte des coûts de transaction, des taxes et de toutes sortes de restrictions à la mise en œuvre) sont ceux qui ont été entièrement réfutés dans la littérature académique. »
Y a-t-il un autre aspect important que vous aimeriez souligner ?
« Oui. La deuxième décision majeure pour un investisseur concerne le poids qu'il souhaite donner à chaque facteur dans son mix d'allocation stratégique. Je pense que la diversification est l'un des aspects les plus importants de l'investissement factoriel et je ne peux que recommander de bien diversifier le mix entre les facteurs.
Troisièmement, les investisseurs devront s'assurer que les solutions qu'ils choisissent leur permettent de générer des primes factorielles de manière efficiente. Cela suppose de pouvoir identifier les risques auxquels ils s'exposent lorsqu'ils s'engagent dans l'investissement factoriel et de comprendre quels risques sont nécessaires et lesquels ne le sont pas. Ainsi, je pense qu'il est également important d'être en mesure de développer des outils pouvant vous aider à identifier les risques non récompensés et à les exclure. »
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Les stratégies factorielles doivent être évaluées sur l'ensemble d'un cycle économique.
Compte tenu de l'appétit actuel pour l'investissement factoriel, n'y a-t-il pas un risque de déception massive, en particulier si les stratégies factorielles doivent soudainement connaître des périodes difficiles en matière de performances ?
« Ma perception est que la plupart des investisseurs se rendent compte que, lorsqu'ils effectuent une allocation stratégique à un facteur, tout comme ils le font dans les actions par exemple, ils ne peuvent espérer des performances positives tous les ans. Les stratégies factorielles doivent être évaluées sur l'ensemble d'un cycle économique. Je pense aussi que les investisseurs ont désormais une meilleure compréhension du concept de diversification, ce qu'ils apprécient. Je le précise car nous observons ces dernières années que si certains facteurs ont effectivement généré de bonnes performances, d'autres ne l'ont pas du tout. »
Pour autant, compte tenu de l'importance des flux actuellement alloués aux stratégies d'investissement factoriel, ne craignez-vous pas qu'elles deviennent contre-productives ?
« C'est ce que l'on observe souvent en matière d'innovation. Il y a toujours pour commencer une première phase d'adoption rapide, et nous observons aujourd'hui que l'investissement factoriel devient très populaire. Résultat, de plus en plus de gérants d'actifs se tournent vers l'investissement factoriel et l'offre de produit explose. Certains investisseurs seront inévitablement déçus.
L'une des raisons à cela est un phénomène de dispersion assez large dans la qualité des produits proposés. Il faudra du temps avant que les performances réalisées ne fassent ressortir les meilleurs produits. Au fil du temps, on assistera probablement à un choc, ce qui ne sera pas forcément une mauvaise chose. Mais il existe également un aspect plus préoccupant lié à la multitude de produits indiciels génériques souvent commercialisés sous l'appellation "smart beta".
Explication : lorsque vous demandez aux investisseurs pourquoi ils investissent dans ces produits indiciels, vous obtenez généralement deux réponses. Premièrement, les faibles commissions. On peut difficilement ne pas être d'accord. En tant qu'investisseur vous souhaitez évidemment payer le moins de commissions possible. Deuxièmement, la transparence, avec laquelle il est également difficile de ne pas être d'accord, car en tant qu'investisseur vous aimez avoir le contrôle.
Mais ce dont la plupart des gens ne se rendent pas compte, c'est que la transparence offerte par ces indices ne leur est pas exclusive. Il s'agit de transparence publique, ce qui signifie que les autres investisseurs, notamment les firmes de négociation pour compte propre et les hedge funds, peuvent identifier à l'avance quelles transactions vont être exécutées et en tirer parti de manière opportuniste. »
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Cela peut finir par peser sur la performance de ceux qui investissent sur la base de ces indices, n'est-ce pas ?
« Exactement, et je trouve cela très préoccupant. Pour vérifier si cela se produit déjà et ce que cela signifie pour les investisseurs indiciels, nous avons lancé un vaste projet de recherche chez Robeco. Et avec mon collègue Georgy Kyosev, nous avons publié un article2 sur ce sujet, qui a été présenté début 2018 à l'American Finance Association, à Philadelphie.
Notre conclusion est qu'il existe de solides données empiriques étayant ce phénomène de "front running". Nous avons également découvert des signes clairs de surconcentration dans ces indices factoriels publics, ce qui explique en partie pourquoi les produits basés sur ces indices sont si bon marché. Contrairement à un gérant actif qui doit fermer un fonds pour protéger ses capacités et protéger les investisseurs contre une baisse inévitable de la performance moyenne à mesure que le fonds grossit, un fournisseur d'indices n'a pas cette responsabilité. Idem pour les gérants d'actifs offrant des produits qui répliquent ces indices. »
« Cet article est un extrait d'une interview plus longue publiée dans notre recueil d'entretiens réalisés avec des scientifiques renommés et intitulé "Dans l'univers des facteurs ».