Avant même l’escalade de la crise russo-ukrainienne, il était difficile de procéder à une évaluation économique étant donné la distorsion subie par de nombreuses séries de données après deux années de pandémie. C’est la raison pour laquelle nous avions intitulé notre précédente édition des Perspectives trimestrielles Crédit « Des informations incomplètes et des prévisions imparfaites». « Avec le conflit ukrainien, la hausse des prix du pétrole et de nouvelles perturbations de la chaîne d’approvisionnement, il est évident que les fondamentaux doivent être évalués au travers d’un éventail encore plus large de possibilités. Le risque de récession est désormais ouvertement débattu », constate Victor Verberk, co-responsable de l’équipe Crédit de Robeco.
En ce qui concerne les valorisations, les cours ont nettement baissé sur tous les marchés depuis nos perspectives publiées début décembre. La compensation du risque de liquidité a beaucoup augmenté, comme en témoigne également l’élargissement des spreads de swaps européens.
Pour ce qui est des facteurs techniques, notre principale inquiétude est que les central banks are behind the curve. We think the Fed made a clear policy mistake by starting this tightening cycle too late. The key risks here are hausses de taux plus importantes que prévu dans les mois à venir et une inflation qui non seulement dure plus longtemps mais atteint aussi des niveaux plus élevés. Cette situation n’est pas sans nous rappeler les propos du joueur de football italien Paolo Maldini, qui disait que si une tactique défensive ne permet pas d’anticiper les risques futurs, il faut prendre une mesure d’urgence (à savoir, un tacle).
Dans l’ensemble, nous acceptons des betas un peu plus élevés pour le crédit Investment Grade. Peu importe si les betas sont légèrement supérieurs à un, du moment que nous restons dans le premier quartile de notre budget de risque. En ce qui concerne le High Yield, le marché américain commence déjà à refléter de nouveau un certain optimisme, mais il est trop tendu à notre avis. Autrement dit, nous préférons conserver notre position globale de sous-pondération du beta malgré le fait que les spreads du crédit européen High Yield se sont resserrés au cours des derniers mois.
Une catastrophe humanitaire
« Commençons par exprimer nos sincères condoléances et notre sympathie à toutes les victimes de la guerre injustifiée qui se livre en Ukraine », déclare Victor Verberk. « Une tragédie humaine est en cours, dont la gravité l’emporte de loin sur nos perspectives trimestrielles Crédit. Mais c’est notre travail. Alors nous nous attacherons comme d’habitude à dresser une évaluation financière froide de la situation de façon à nous positionner correctement pour le compte de nos clients.»
Cette crise va asséner un coup violent à l’économie européenne. L’Europe est d’ores et déjà confrontée à des problèmes de chaîne d’approvisionnement et elle est de toute évidence très dépendante de l’énergie russe, mais aussi des produits agricoles ukrainiens.
L’économie américaine, bien qu’elle ait repris le chemin de la croissance depuis moins de deux ans, est déjà en surchauffe. Le marché de l’emploi s’est largement rétabli et la Fed a accompli sa mission à cet égard. La hausse des salaires a commencé à se généraliser. Il semble que la grande question que se posent tous les décideurs et les intervenants du marché soit celle de la trajectoire de l’inflation.
Quelques mots sur la Chine s’imposent également. « Cela fait un moment que la pérennité de cette croissance économique "miracle", alimentée par l’endettement, nous inquiète », reconnaît Sander Bus, co-responsable de l’équipe Crédit de Robeco. « Il ne fait aucun doute pour nous que ce miracle économique touche à sa fin. Un endettement accru ne permettra pas d’atteindre l’objectif de croissance de 5,5 % sans compromettre simultanément les impératifs macroprudentiels de Pékin. L’effondrement du secteur immobilier est symptomatique d’une mauvaise allocation des capitaux et d’un système surendetté. La stabilité sociale demeurant l’objectif primordial de Pékin, des mesures de relance seront probablement prises sous une forme ou une autre. »
Une inflation qu’on ne peut plus ignorer
Alors, quel effet aura la hausse des prix du pétrole et du gaz ? « Comme l’a souligné mon collègue Martin van Vliet, l’envolée des prix du pétrole peut coûter environ 3 % de la croissance du PIB sur plusieurs années », explique Jamie Stuttard, stratégiste crédit chez Robeco. « Le choc énergétique est donc de toute évidence une taxe sur la croissance, sans compter qu’il aggrave l’inflation globale. Cette situation place les banques centrales dans une position délicate. L’inflation est tout simplement trop élevée pour être ignorée et la Fed doit réagir, car il en va de sa mission. Par conséquent, il est fort possible qu’elle procède à une série rapide de hausses de taux sur une courte période, avec une réduction de son bilan à la clé pour faire bonne figure, ce qui pourrait nuire à la croissance économique. »
Nous sommes conscients que le cycle de relèvement des taux et le choc pétrolier peuvent tous deux déclencher une récession. Nous pensons que la probabilité est raisonnablement élevée et qu’elle a assurément augmenté.
Comme l’ont souligné les économistes américains Larry Summers et Alex Domash, quand l’inflation est supérieure à 4 ou 5 % et que le chômage est inférieur à 5 %, le cycle économique se termine par un atterrissage brutal dans la grande majorité des cas. Les banques centrales vont devoir freiner. Elles n’ont guère d’autres choix avantageux.
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Les valorisations se sont ajustées
Nous avons passé beaucoup de temps à analyser la valeur relative des marchés crédit actuels. Dans notre analyse, la fin de l’assouplissement quantitatif et la perspective d’un durcissement monétaire dans les mois à venir se reflètent désormais dans les prix du marché et dans les spreads de crédit. C’est ce que nous appelons le scénario « 2018 ». Mais il existe quelques autres scénarios qui n’ont pas encore été évalués.
Premièrement, les conséquences inflationnistes et récessionnistes de la flambée actuelle des prix du pétrole pourraient ne pas se matérialiser, mais la similitude du choc pétrolier actuel lié à l’offre avec celui des années 1970 nous fait envisager sérieusement la possibilité d’un ralentissement plus important et d’un effet domino.
Deuxièmement, nous ne sommes pas si sûrs qu’un défaut de paiement de la Russie, qui serait, en termes nominaux, l’un des plus importants de l’histoire, puisse être considéré comme étant entièrement pris en compte dans les primes de risque.
Troisièmement, une croissance économique de 5,5 % en Chine nous semble de plus en plus improbable. Étant donné que la Chine a fourni plus de 50 % de la contribution marginale à la croissance du PIB mondial au cours des dix dernières années, cette éventualité pourrait également susciter une grande déception.
Quelle conclusion en tirons-nous pour ce qui est des valorisations ? Les spreads se situent de nouveau autour de leurs niveaux médians, soit des valeurs plus élevées qu’à aucun autre moment des sept derniers trimestres. C’est pourquoi nous ne voulons plus avoir une position courte sur le risque, bien que nous ayons besoin d’une prime de risque plus importante pour prendre une position longue sur le risque. Nous donnons la priorité à la sélection des titres, au choix des secteurs et aux différences géographiques dans la composition des spreads.
Cycle de marché | Notre opinion sur les segments du marché

Source : Robeco, mars 2022
Surveiller les facteurs techniques
Le débat sur les facteurs techniques dans nos perspectives trimestrielles a été l’un des plus passionnants depuis des années. Nous avons parlé de la crainte d’une action beaucoup plus précoce des banques centrales, des signaux d’un inversement de la courbe et de nombreux événements géopolitiques.
Les chocs pétroliers ont tendance à susciter une réaction plus ferme de la part des banques centrales. De plus, l’histoire montrent qu’ils sont suivis, tout comme les cycles de relèvement durable des taux, de récessions. Les risques pour la croissance sont particulièrement élevés lorsque les chocs pétroliers sont des événements exogènes liés à l’offre et non à la demande. Tout cela ne semble pas être de bon augure.
En outre, comme les banques centrales ont fourni d’énormes quantités de liquidités, il ne faut pas s’étonner que le retrait des liquidités provoque un regain de volatilité. Le moment est très incongru pour les banques centrales de retirer des liquidités, mais une fois de plus, l’inflation ne leur laisse pas d’autre choix.
La prudence est de mise
Dans l’ensemble, les valorisations plaident en faveur d’un peu plus d’optimisme à l’égard des marchés crédit. Mais, comme l’a dit un jour Paolo Maldini, « si je suis obligé de tacler, c’est que j’ai commis une erreur ». Nous faisons donc preuve de prudence dans la gestion de ces allocations, car des risques extrêmes se rapprochent et l’ampleur du choc pétrolier reste à voir.