20-12-2023 · Perspectives trimestrielles

Perspectives Crédit : faire la fête comme dans les années 1990

Alors qu’un nombre croissant d’économistes et de stratégistes abandonnent leurs opinions baissières sur le marché, il nous semble judicieux de rester prudents. Historiquement, les cycles de durcissement monétaire des banques centrales ont presque toujours conduit à une récession, sauf au milieu des années 1990...

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    Auteurs

  • Sander Bus - CIO High Yield, Portfolio Manager

    Sander Bus

    CIO High Yield, Portfolio Manager

  • Reinout Schapers - Portfolio Manager

    Reinout Schapers

    Portfolio Manager

Le marché intègre désormais un scénario idéal. Les spreads ont fortement varié et certains segments des marchés crédit américains se situent dans, ou se dirigent vers, le dernier décile en termes de valorisations. Nous avons généralement affaire à une telle situation au terme de longs marchés haussiers et non dans des environnements similaires à celui que nous connaissons actuellement.

Les facteurs techniques de marché se sont améliorés au dernier trimestre sur fond de marchés des taux plus stables. Toutefois, le sentiment demeure fragile comme nous avons pu le constater durant l’année 2023. Les marchés intègrent des attentes très élevées, ce qui signifie que la probabilité de déception est grande. Il faudra un ralentissement ou une récession plus profonde pour que les marchés évoluent de manière plus significative. Nous sommes confiants dans notre positionnement global plus neutre et prenons un risque « bottom-up » sur les segments du marché où le profil risque-rendement nous semble attractif. Nous optons pour un beta légèrement long sur les obligations Investment Grade et maintenons fermement notre positionnement conservateur sur les obligations High Yield.

Fondamentaux

En examinant les fondamentaux des entreprises, nous constatons une compression des marges dans certains secteurs. Sur fond de recul de l’inflation, le pouvoir de fixation des prix semble également en baisse. Tandis que les salaires restent à la traîne, les pressions sur les marges devraient s’intensifier à l'avenir. L’an dernier, les secteurs tels que les technologies et l’industrie lourde ont pâti d'une baisse de leurs marges. Jusqu’à aujourd'hui, peu d’entreprises sont disposées à laisser partir leurs employés. Traumatisées par la difficulté à trouver du personnel et stimulées par les réserves significatives accumulées durant la pandémie de Covid-19, les entreprises ont préféré laisser leurs marges diminuer plutôt que de réduire leurs coûts de main-d'œuvre. Or certains secteurs ne peuvent plus s’offrir le luxe de retenir leur personnel.

Le secteur bancaire demeure assez bon marché à l’échelle mondiale

Ces effets deviendront bientôt plus visibles à mesure qu’un nombre croissant d’entreprises auront besoin de se refinancer sur le marché obligataire en 2024. S’agissant des entreprises très endettées, la hausse des taux aura un impact significatif sur leurs résultats financiers. S’agissant des entreprises dotées du statut Investment Grade, ces effets seront réduits dans la plupart des cas. Toutefois, nous constatons parmi elles des entreprises qui ont besoin d’apporter des ajustements à leur allocation du capital. À titre d’exemple, les entreprises spécialisées dans les infrastructures telles que les tours de télécommunication et les énergies renouvelables doivent ajuster leurs bilans en fonction de la hausse des taux. Dans cet environnement, il ressort clairement des gagnants et des perdants.

Valorisations

Le secteur bancaire demeure assez bon marché à l’échelle mondiale. Plus particulièrement, la dette bancaire senior a généralement sous-performé le marché et peut encore être considérée comme bon marché. Les obligations AT1 ont signé des performances plutôt bonnes et se situent désormais en-dessous de leurs niveaux médians, mais toujours supérieurs à leurs niveaux d’avant le mois de mars. Les obligations notées CCC ont sous-performé au cours de ces derniers mois et ont baissé par rapport aux obligations notées B et BB. Or cela ne signifie pas qu’il est temps de renforcer son exposition à ce segment du marché. Ce n’est pas sans raison si de nombreuses entreprises notées CCC se négocient à des cours bon marché. Plusieurs d’entre elles subissent de fortes pressions sur leurs marges ou sont excessivement endettées et ont donc des difficultés à se refinancer à ces taux d’intérêt supérieurs. Ce segment du marché doit être vu sous l’angle du risque idiosyncratique et non dans une perspective « top-down ».

Nous avons déjà observé une évolution avec une augmentation des afflux de capitaux vers le crédit

Compte tenu du nombre élevé d’entreprises qui subissent des pressions sur leurs marges ou dont la dette est excessive dans l’environnement de taux actuel, les entreprises devraient voir leurs notations changer ou, dans le cas du High Yield, faire défaut. Nous sommes d'avis qu’il faille accorder la priorité à la sélection des émetteurs dans les marchés actuels en trouvant le bon équilibre entre fondamentaux et valorisations.

Facteurs techniques

Nous avons déjà observé une évolution avec une augmentation des afflux de capitaux vers le crédit, plus particulièrement sur le crédit Investment Grade. Dans la mesure où les rendements globaux du crédit Investment Grade demeurent attractifs et où les entreprises concernées offrent de bonnes perspectives de performance, cette classe d’actifs peut rivaliser avec de nombreuses autres classes d’actifs plus risquées. Sur le plan de la demande, les facteurs techniques semblent très favorables. Du côté négatif, les banques centrales prolongeront leur politique de durcissement quantitatif. La Fed, la BCE et la Banque d’Angleterre ont toutes indiqué qu’elles continueraient de réduire leurs bilans. Plus particulièrement, la BCE conserve des positions considérables sur les obligations d’entreprise qui devront être liquidées à moyen terme.

Compte tenu du récent rebond des marchés crédit et des taux, la demande en faveur du crédit devrait être satisfaite par de nouvelles émissions. Sur le marché du High Yield, il faudra trouver une solution au mur d’échéance. Avec des rendements désormais inférieurs de presque 2 % à ceux d’il y a deux mois, de nombreux émetteurs pourraient commencer à réfléchir à leurs échéances imminentes. Cependant, plusieurs entreprises auront encore du mal à se refinancer à cause de leur endettement élevé. Sur le segment des obligations Investment Grade où les entreprises ont de moindres besoins de financement en raison de leurs profils d’échéance moyenne longue, elles pourraient s’adresser au marché et émettre de la dette. À noter que les entreprises Investment Grade ont été très réticentes à émettre de la dette à plus longue échéance au cours de ces 12 derniers mois en raison du niveau élevé des taux.

Les facteurs techniques se sont nettement améliorés

Sur les marchés émergents, la situation est plutôt différente. Nous constatons déjà que les entreprises choisissent, lorsque cela est possible, de refinancer leur dette offshore sur les marchés locaux, plus particulièrement en Asie où les taux d’intérêt locaux sont beaucoup plus attractifs que leurs équivalents en USD. En conséquence, les marchés émergents en devises fortes ont progressivement diminué, une tendance qui devrait se poursuivre l’an prochain.

Conclusion

Nous sommes parvenus au terme de l’un des cycles de durcissement monétaire les plus importants de l’histoire moderne. Les économies européennes et américaine l’ont jusque-là traversé sans trop de difficulté. Les marchés ont crié victoire et ont pleinement embrassé l’idée d’un atterrissage en douceur. Toutefois, nous restons prudents car il est possible que nous n’ayons pas encore assisté à toutes les conséquences du cycle de durcissement. Les banques centrales inversent progressivement leur politique monétaire, mais il semble qu’il faudra encore attendre quelques mois pour observer des baisses de taux.

Des attentes élevées sont intégrées. Le marché fait la fête comme dans les années 1990, ce qui signifie que les déceptions sont possibles, auquel cas les spreads pourraient s’élargir. En revanche, il faudra un ralentissement ou une récession plus profonde pour faire évoluer plus fortement les marchés. La probabilité d’un tel scénario nous semble élevée compte tenu de la lenteur du mécanisme de transmission du cycle de durcissement.

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